Prosodie de la Parole Di Cristo

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VOIX PAROLE LANGAGE

La prosodie de la parole

Albert Di Cristo

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À Shantel Je remercie tout particulièrement Alain Berrendonner, qui a bien voulu lire l’intégralité de mon manuscrit et me faire part de ses remarques dont j’ai tiré grand profit. Mes remerciements s’adressent également à Corine Astesano, Élisabeth Delais-Roussarie, Christelle Portes et François Viallet, pour leurs commentaires avisés relatifs à certains chapitres de l’ouvrage. A. Di Cristo

COLLECTION VOIX PAROLE LANGAGE Sous la direction d’Antoine Giovanni L’équilibre et le rayonnement de la voix B. Amy de la Bretèque, 1997, 2010 (2e édition), 128 pages. Soigner la voix J. Sarfati, 1998, 128 pages. La déglutition après chirurgie partielle du larynx L. Crevier-Buchman, S. Brihaye & C. Tessier, 1998, 98 pages. Le trac E. Fresnel, 1999, 105 pages. A l’origine du son : le souffle B. Amy de la Bretèque, 2000, 127 pages. La voix de l’enfant J. Sarfati, A.-M. Vintenat & C. Choquart, 2002, 96 pages. La voix après chirurgie partielle du larynx L. Crevier-Buchman, S. Brihaye & C. Tessier, 2003, 205 pages + CD-Rom. Le bilan d’une dysphonie Sous la direction de A. Giovanni, 2004, 243 pages. Précis d’audiophonologie et de déglutition (2 tomes) Coordonnés par P. Dulguerov & M. Remacle TOME 1 : L’oreille et les voies de l’audition, 2005, 374 pages. TOME 2 : Les voies aérodigestives supérieures, 2009, 488 pages. Défauts de mobilité laryngée et réhabilitation fonctionnelle Sous la direction de F. Le Huche & A. Allali, 2007, 292 pages. La voix sans larynx F. Le Huche & A. Allali, 2008 (5e édition entièrement réactualisée), 276 pages. Prise en charge orthophonique en cancérologie ORL Coordonné par A. Giovanni & D. Robert, 2010, 274 pages. Précis de physiologie de la production de la parole A. Marchal, 2011, 130 pages. Et votre voix, comment va-t-elle ? F. Le Huche, 2012, 254 pages.

CHEZ LE MÊME ÉDITEUR Collection “Le monde du verbe” Une voix pour tous G. Heuillet-Martin, H. Garson-Bavard & A. Legré, Tome 1 : La voix normale et comment l’optimaliser, 2e édition, 1997, 204 pages. Tome 2 : La voix pathologique, 2e édition, 1997, 212 pages. Du silence à la voix G. Heuillet-Martin & L. Conrad, 1997, 317 pages. De la voix en orthophonie I. Ammann, 1999, 128 pages. Un manuel du bégaiement M.C. Pfauwadel, 2000, 363 pages. Rééducation des troubles de l’alimentation et de la déglutition C. Senez, 2002, 180 pages.

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La prosodie de la parole Albert Di Cristo

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Sommaire

Avant-propos .................................................................................................. VII Introduction.......................................................................................................IX Chapitre 1. Éléments de définition........................................................... 1 Chapitre 2. Situation de la prosodie dans le champ des sciences du langageet dans l’étude de la communication orale.................23 Chapitre 3. La prosodie sur les deux versants de la communication orale interindividuelle ..............................................43 Chapitre 4. La prosodie et le cerveau.....................................................71 Chapitre 5. La matérialité de la prosodie.............................................83 Chapitre 6. Les niveaux d’analyse et de représentation de la prosodie...................................................................................................103 Chapitre 7. Les théories, les modèles de la prosodie et leurs appareils formels............................................................................................119 Chapitre 8. La fonctionnalité plurielle de la prosodie................167 Chapitre 9. Les relations de la prosodie avec le sens....................249 Épilogue..............................................................................................................277 Suggestions de lecture.................................................................................279 Index des termes.............................................................................................281 Index des noms propres .............................................................................291 V

Avant-propos

Le titre Prosodie de la parole a été retenu pour éviter toute confusion avec la prosodie littéraire qui constitue un champ d’étude particulier. Elle ne signifie nullement que nous considérons la prosodie comme un fait de parole et non comme un fait de langue. Il apparaîtra clairement dans cet ouvrage que l’étude de la prosodie relève à la fois de celle de la langue et de celle de la parole ou, plus précisément, de la linguistique de la langue et de la linguistique de la parole. Cet ouvrage est conçu comme une introduction à ce champ d’étude. En conséquence, il accorde plus d’importance à l’explication des notions essentielles à la compréhension de la prosodie en général, qu’à l’analyse détaillée et à la discussion des diverses théories prosodiques, bien que cet aspect ne soit pas négligé pour autant. Dans cette introduction, nous nous efforçons d’aborder la prosodie sous tous ses aspects (matériels, formels, fonctionnels et signifiants), ainsi que dans ses relations avec les autres composantes du langage. La seconde perspective s’impose, dans la mesure où elle permet de comprendre la place qu’occupe de nos jours la prosodie dans l’étude du langage et de la communication. Ce choix nous a porté à inclure des développements qui ne traitent pas de la prosodie à proprement parler, mais de problématiques se rapportant à la quiddité du langage et de la communication, ainsi qu’aux disciplines concernées par ces questions. Ces développements extra-prosodiques ont pour objectifs d’introduire des notions fondamentales, des principes d’analyse et des positionnements théoriques susceptibles d’éclairer les exposés sur la prosodie. Nous avons pris le parti d’inclure des références bibliographiques dans le corps du texte, afin d’éviter au lecteur d’avoir à se reporter à la fin de l’ouvrage pour accéder à ces informations. Nous mentionnons, par ailleurs, au terme de l’ouvrage, quelques titres dont la lecture pourra compléter utilement le contenu de la présente contribution.

VII

Introduction

Les êtres humains disposent, pour communiquer oralement avec leurs semblables, de ressources diversifiées qu’il est d’usage de répartir selon trois canaux ou trois modes d’expression distincts : le verbal, le vocal et le posturo-mimo­ gestuel. Bien que ces modes d’expression reflètent des tendances universellement attestées, ils sont appréhendés par les utilisateurs d’une langue comme des systèmes particuliers ou des codes, car chacun participe, à sa manière, d’une organisation que les membres d’une même communauté linguistique et culturelle s’accordent à tenir pour conventionnelle. Traditionnellement, le canal verbal désigne cette part de l’oralité qui peut être consignée par écrit : il s’agit des phonèmes (représentés à l’écrit par des graphèmes) et des mots agencés selon les lois de la syntaxe. Le canal vocal est, pour sa part, le siège de la prosodie et de phénomènes divers qui relèvent conjointement de ce que l’on appelle la vocalité. Enfin, comme sa dénomination l’indique, le troisième canal se rapporte aux postures corporelles, aux mimiques du visage et à la gestualité des bras et des mains, mises en jeu dans les diverses manifestations de la communication orale. La tradition oppose également, d’une manière plus globale, le verbal et le non verbal, ce dernier réunissant alors le vocal et le mimogestuel. Cette distinction, apparemment fondée, nécessite néanmoins quelques éclaircissements. Le terme verbal intègre le champ lexical du verbe, dont l’usage métaphorique fait référence à la parole divine (« Au commencement était le Verbe » ; ne dit-on pas aussi d’une personne qui parle fort qu’elle a « le verbe haut ? »). Il est clair, cependant, que la parole ne se résout pas au verbal tel que nous l’avons sommairement défini plus haut. S’il en était ainsi, la parole ne serait qu’un texte monocorde, la simple émanation d’une double articulation, cette expression étant prise dans le sens que lui confère le linguiste André Martinet, par exemple (soit, pour simplifier, un découpage des phrases en mots, qui sont segmentés à leur tour en phonèmes). À la vérité, ce qui constitue la marque la plus significative de l’oralité exprimée par la parole, ce n’est ni l’usage d’une syntaxe ni celle d’un lexique radicalement différents de l’écrit, IX

Introduction

mais bien l’omniprésence d’une prosodie (à l’absence de laquelle l’écrit tente de suppléer par l’emploi de quelques signes de ponctuation). Un chercheur féru de prosodie ne serait-il pas en droit d’affirmer « au commencement était la prosodie  »  ? Certainement, surtout s’il se réfère au rôle décisif que la prosodie assume dans l’ontogenèse, en offrant à l’enfant la clé qui lui permet d’ouvrir la porte du langage. Il serait également tentant de spéculer sur la phylogenèse, en supposant que la prosodie et la mimogestualité ont probablement été les premiers instruments de communication des humains, avant que leur évolution biologique ne les conduise à acquérir un langage verbalement articulé. Ce point de vue fictif est loin d’être dénué de fondements. En particulier, si l’on évoque l’hypothèse, scientifiquement fondée, de l’origine gestuelle du langage, ainsi que les nombreuses données empiriques qui attestent des liens privilégiés que la prosodie (notamment l’intonation) entretient avec la gestualité corporelle dans l’usage de la parole. La dichotomie conventionnelle entre le verbal et le non verbal est, par certains aspects, l’illustration d’une attitude sélective, pour ne pas dire sectaire, de la linguistique contemporaine, qui a eu pour effet de favoriser pendant longtemps l’un aux dépends de l’autre. Il est patent que la linguistique, de Saussure à nos jours, qu’elle soit d’obédience structuraliste, fonctionnaliste ou générativiste, s’est montrée foncièrement « verbaliste ». Il se trouve ainsi que la prosodie a été, dans le passé (pour reprendre l’expression du linguiste américain Bolinger), la « Cendrillon de la linguistique ». Quant à la posturo-mimogestualité, force est d’admettre qu’elle n’a longtemps attiré que quelques adeptes de l’étude de la coverbalité communicative, le plus souvent marginalisés par la linguistique qui, lorsqu’elle a daigné se préoccuper de la communication, ne s’est intéressée en fait qu’à la communication dite verbale. Il est certainement possible d’opposer quelques contre-exemples à ces formulations par trop abruptes, mais il serait difficile, en revanche, de réfuter qu’elles résument assez fidèlement des tendances anciennes bien ancrées. Au cours des vingt dernières années, les mentalités ont franchement évolué, au point que l’on assiste aujourd’hui à une véritable effloraison des recherches sur la prosodie et sur la mimogestualité (ainsi que sur leurs relations), dans des perspectives qui concernent à la fois l’étude du langage et celle de la communication. Il est remarquable, à cet égard, que l’attrait de la prosodie a gagné non seulement les sciences du langage, mais aussi les disciplines parentes que sont la psycholinguistique, la neurolinguistique et la sociolinguistique. Les travaux en cours sur la mimogestualité sont en passe d’effectuer une percée similaire, que met en évidence la tenue régulière de congrès internationaux interdisciplinaires, comme, par exemple les colloques Oralité et gestualité (publiés par les éditions L’Harmattan en 1998 et en 2001). Il conviendrait également de citer l’édition récente de la revue Gesture, ainsi que la publication des travaux X

Introduction

influents de David McNeill et ses collaborateurs1, qui ont ouvert des perspectives nouvelles sur le rôle de la mimogestualité dans l’embase et le fonctionnement du langage. Il serait probablement prématuré et présomptueux d’entreprendre aujourd’hui l’élaboration d’un modèle intégratif de l’énoncé total et de la communication multicanaux qui associerait le verbal, le vocal et le posturomimogestuel, dans le but d’expliquer la nature complexe de leurs interactions et l’incidence des forces fonctionnelles qui les motivent, dans les divers usages du langage. C’est pourquoi cet ouvrage est entièrement consacré à la prosodie qui ne représente, en réalité, comme nous le verrons par la suite, qu’une part des ressources plurielles dont dispose la vocalité. Nous ne perdrons pas de vue, cependant, que la prosodie est fortement liée, notamment par le caractère hétérogène de sa fonctionnalité, aux autres ressources, verbales et non verbales que convoque l’expression de la parole. En conséquence, nous ne manquerons pas d’évoquer ces liens, en accordant une attention particulière à la dimension cognitive, car elle constitue un cadre d’analyse propice à l’interprétation des relations entre les ressources et les fonctions langagières qui sont mises en jeu dans les diverses situations de communication. L’ouvrage s’articule en deux grandes parties. La première contient quatre chapitres. Les chapitres 1 et 2 se donnent pour objectifs de définir l’ensemble des termes qui concernent la prosodie (chapitre 1) et de montrer ensuite la place qu’elle occupe dans les sciences du langage, ainsi que dans l’étude de la communication en général (chapitre 2). Le chapitre 3 appréhende la prosodie sous l’angle de la psycholinguistique et se concentre sur le rôle qu’elle joue dans les divers traitements que supervisent les systèmes de production et de compréhension de la parole. Enfin le chapitre 4, qui clôture cette première partie, aborde des aspects neurolinguistiques de la prosodie qui se rapportent à la neuroanatomie fonctionnelle du cerveau humain. La seconde partie de l’ouvrage expose successivement la matérialité (chapitre 5), les niveaux d’analyse (chapitre 6) et les modèles d’analyse et de représentation de la prosodie (chapitre 7). Les chapitres chapitre 8 et 9 se rapportent, respectivement, à la fonctionnalité plurielle de la prosodie et à ses relations au sens.

1

En particulier  : David McNeil, «  So you think gestures are nonverbal  ?  », Psychological Review, 92  (3), 1985: 350-371)  ; David McNeill, Hand and Mind  : What Gestures Reveal about Thought, University of Chicago Press, 1992.

XI

Chapitre 1

Éléments de définition

L’objectif de ce chapitre est de présenter et d’expliciter l’ensemble des termes qui sont utilisés dans les travaux sur la prosodie. Nous donnerons, quand cela sera utile, les équivalences entre les termes français et ceux qui sont employés dans les travaux sur l’anglais.

1. Ébauches de définition de la prosodie Il est aisé de recenser, dans les dictionnaires de linguistique, ainsi que dans la littérature spécialisée, de nombreuses définitions de la prosodie dont la confrontation peut se révéler parfois confondante. Cela tient en partie à des positionnements théoriques différents ou antagonistes. Mais aussi au fait que ces définitions se rapportent à divers niveaux d’analyse ou d’interprétation, sans que les raisons de ces choix soient toujours clairement précisées. C’est ainsi que la prosodie et les éléments prosodiques peuvent être définis, soit par rapport à leur nature formelle, soit par rapport à leur matérialité physique ou auditive, soit encore, par rapport à leur fonctionnalité ou aux significations qu’ils contribuent à véhiculer. Nous nous efforcerons, dans les définitions que  nous proposons par la suite, d’être plus explicite sur ces niveaux interprétatifs. Le terme prosodie est dérivé du grec ancien prosôidia qui faisait référence à l’accentuation mélodique distinctive (symbolisée ici par l’accent circonflexe) dont a bénéficié cette langue à un certain stade précoce de son évolution. Après la perte de cette mélodicité distinctive (comparable à celle des langues dites à tons), supplée cependant par la survivance d’un système accentuel dynamique, le terme prosodie a vu sa signification se rapprocher davantage de celle de métrique. Par la suite et jusqu’à nos jours il est apparu que le sens général du mot prosodie a souvent oscillé entre deux pôles : celui de métrique 1

Chapitre 1 – Éléments de définition

et celui d’intonation, avec une préférence marquée pour le premier, dans la tradition littéraire et pour le second, dans la communauté des linguistes et des phonéticiens. Aujourd’hui, il se trouve que le terme prosodie se rapporte à l’un et à l’autre, dans la mesure où les théories prosodiques les plus avancées envisagent la métrique et l’intonation comme des systèmes qui sont connectés par des liens rigides. Pris dans sa signification générique, le terme prosodie peut donner lieu à des définitions sensiblement différentes, selon qu’on l’envisage simplement comme un domaine de recherche (éventuellement, comme une discipline, à l’instar de la syntaxe, par exemple) ou, sous l’angle de la cognition, comme une composante de l’infrastructure sous-jacente du langage. Appréhendée en tant que discipline des sciences du langage, la prosodie (que l’on pourrait alors qualifier de prosodologie), est couramment définie comme le champ d’étude d’un ensemble de phénomènes, tels que l’accent, le rythme, les tons, l’intonation, la quantité, les pauses et le tempo, qui constituent ce qu’il est convenu d’appeler les éléments prosodiques ou les éléments suprasegmentaux du langage. Regardée comme une composante (ou un module) de l’architecture fonctionnelle sous-jacente du langage, la prosodie peut être regardée comme un dispositif de haut niveau (cognitif) dont le rôle consiste à superviser (sur les plans de la production et de la perception) la gestion d’un jeu de paramètres particuliers, appelés paramètres prosodiques (la fréquence fondamentale : F0, la durée et l’intensité). Cette gestion permet ainsi de tirer parti, en termes de contrastes catégoriels et graduels, des éléments prosodiques que sont les tons, l’intonation, les proéminences, les pauses, les mores, etc. À la suite du psycholinguiste Levelt1, nous proposons de dénommer ce dispositif le compilateur prosodique, car nous l’assimilons à une unité fonctionnelle spécialisée qui a la charge d’effectuer des traitements se rapportant à la fois à la production et au traitement de la prosodie. C’est ainsi que, sur le versant de la production (où se place le locuteur), ces opérations consistent à sélectionner, en fonction de plusieurs critères (en réalité, de diverses contraintes grammaticales et para-grammaticales), les marques prosodiques susceptibles de contribuer de façon optimale à la bonne formation des énoncés proférés. D’un autre côté, sur le versant de la compréhension (où se place l’auditeur), ces opérations se rapportent au traitement des indices prosodiques acoustiques présents dans les signaux sonores que véhiculent les énoncés proférés, afin d’évaluer leur contribution au décodage et à la compréhension de ces derniers. Jusqu’à présent, nous n’avons énoncé que quelques généralités, qui devraient permettre d’avoir déjà une idée plus ou moins précise de ce qu’est la prosodie. Ces remarques liminaires nous ont amené à introduire un ensemble de termes dont nous allons examiner plus en détail les définitions. 1

2

Willem Levelt : « Speaking », MIT Press, 1989.

Définitions des éléments prosodique

2. Définitions des éléments prosodique 2.1. Ton et intonation Les termes de ton et d’intonation présentent une parenté notoire, dans la mesure où ils renvoient à une même réalité tangible désignée par le vocable de mélodie. D’autre part, ils évoquent de concert pour le linguiste l’usage que l’on peut faire des variations de la hauteur de la voix, afin de promouvoir des distinctions de sens. En dépit de cette parenté substantielle et fonctionnelle ils se différencient radicalement par le domaine auquel s’applique leur fonctionnalité. Il s’agit des unités lexicales, pour le ton et des unités post- ou supralexicales, comme la phrase ou l’énoncé, pour l’intonation. En linguistique, les tons sont usuellement définis comme des unités mélodiques minimales distinctives (des phonèmes de hauteur en quelque sorte, ou des tonèmes) dont les oppositions ont pour effet de changer le sens des mots (ou des morphèmes). C’est ainsi, pour prendre un exemple bien connu, que le chinois mandarin possède quatre tons distinctifs : un ton haut statique, un ton montant, un ton descendant-montant et un ton descendant. L’attribution consécutive de ces tons à une syllabe comme [da] donne lieu à la prononciation de mots différents, interprétés, respectivement, comme « se tenir au-dessus de quelque chose », « répondre », « frapper » et « gros ». Toujours en chinois, la séquence suivante : « ma ma qi ma ma man ma ma ma « est formée majoritairement de syllabes [ma] (soit 7 sur 9). Si la prononciation de cette séquence est telle (cf. figure 1) que la première syllabe [ma] porte un ton haut (1), la seconde un ton neutre (*), la troisième et la quatrième un ton descendant-montant (3), la cinquième un ton haut (1), la sixième un ton descendant (4), la dernière un ton descendant-montant (3) - et que, par ailleurs, la syllabe [qi] reçoive un ton montant (2) et la syllabe [man], un ton descendant (4), cette séquence signifiera alors : « Une femme conduisant un cheval trouve qu’il est trop lent et elle l’injurie », ce qui dénote, si besoin était, l’étendue du pouvoir sémantique des distinctions tonales dans cette langue.

1 ma

*

ma

2

3

3

qi

ma

ma

4

1

man

ma

4 ma

3 ma

Figure 1.  Représentation stylisée des tons du chinois mandarin. Nota  : pour visualiser et écouter cet exemple, on pourra se reporter à http://www.wku.edu/~shizhen.gao/Chinese101/ pinyin/tones.htm.

3

Chapitre 1 – Éléments de définition

L’une des raisons pour lesquelles une langue comme le chinois possède un système tonal tient assurément à une question de forte homophonie potentielle. En effet, le chinois est une langue monosyllabique qui ne dispose que d’un nombre limité de syllabes possibles (environ 300 à 400, contre plus de 10 000, pour une langue comme l’anglais, par exemple). Il est clair que, dans ces conditions, le recours à un système tonal permet d’enrichir substantiellement le lexique, tout en conservant un matériau verbal limité. Contrairement à ce qui a été parfois affirmé, toutes les syllabes ne portent pas nécessairement un ton dans les langues dites tonales. Il existe, en effet, des restrictions phonologiques et grammaticales qui font – pour ce qui concerne ces dernières, par exemple – que les affixes et les pronoms ne sont pas enclins à recevoir un ton. Il peut se révéler surprenant d’apprendre que la majorité des langues parlées dans le monde sont des langues à tons ou des langues dites tonales. Elles se regroupent en familles qu’il serait trop long d’énumérer ici. Nous citerons seulement, à titre d’illustration, des langues d’Asie, comme le vietnamien ou le thaï, d’Afrique, comme hausa, le yoruba et le wolof, ou encore des langues indiennes, comme le navajo et l’apache. Les langues tonales partagent le fait que les tons qu’elles opposent à des fins distinctives font partie de la structure des mots qu’ils permettent d’identifier. C’est pourquoi, il est indispensable que ces tons soient spécifiés dans les entrées lexicales des dictionnaires dédiés à ces langues, alors que les langues non tonales ne réclament évidement aucune spécification de ce type. Le vocable ton possède également une signification moins spécialisée. Dans ce cas, il dénote simplement la qualité de la mélodie qui accompagne la prononciation d’une syllabe. Il est alors loisible de parler de tons ponctuels ou de tons cinétiques, et, dans cette seconde éventualité, de tons montants, descendants, circonflexes, etc. Ces qualificatifs sont parfois utilisés dans la description de l’intonation des langues comme l’anglais, l’italien ou le français, etc., qui ne sont pas des langues tonales à proprement parler. Les travaux sur la prosodie de l’anglais utilisent à la fois les termes tone et tune. En vérité, seul le premier fait référence à l’entité « ton » dont il vient d’être question, car le second désigne un patron mélodique plus étendu, dont l’étude relève de l’analyse de l’intonation. Le terme d’intonation fait référence au système des patrons (ou des schémas) mélodiques distinctifs (qualifiés de patrons intonatifs ou d’intonèmes) qui ont pour domaine l’énoncé et ses constituants. Chaque langue possède un nombre fini de patrons de ce type, qui définissent sa grammaire intonative. Il importe de préciser, dès à présent, que dans les différentes approches de l’intonation, les patrons intonatifs sont décrits, soit comme des formes globales indivisibles, soit comme des unités décomposables en unités plus petites qui représentent ainsi les unités primitives de la description. C’est ainsi que dans l’approche dite autosegmentale de l’intonation (qui constitue le courant 4

Définitions des éléments prosodique

dominant de la phonologie prosodique actuelle), ces unités primitives ne sont pas autre chose que des tons ou des segments tonals (cf. chapitre 7). En réalité, dans l’optique de cette approche, les segments tonals sont considérés comme des autosegments, dans la mesure où ils représentent des éléments autonomes, par rapport aux segments phonémiques (vocaliques et consonantiques) de la couche verbale. Comme on le verra, l’un des principaux avantages de l’approche autosegmentale est qu’elle adopte un même formalisme pour décrire aussi bien les langues tonales que les langues non tonales. Le célèbre principe du rasoir d’Ockham, qui stipule que l’on ne doit pas multiplier inconsidérément les entités, se trouve ainsi optimisé.

2.2. Accentuation, accent, rythme et métrique Par accentuation, on peut désigner, soit le système accentuel d’une langue (l’accentuation du français, par exemple), soit le fait d’accentuer une unité de la chaîne linguistique (l’accentuation d’une syllabe particulière, par exemple). Le terme d’accent est certainement celui qui nécessite les commentaires les plus fournis. Ces précisions semblent justifiées si l’on considère que la notion d’accent est affublée en français d’une terminologie pléthorique, que traduit la profusion des vocables utilisés pour qualifier ce prosodème. Il a été ainsi question dans la littérature de l’accent normal, traditionnel, logique, étymologique, historique, final, rythmique, lexical, de mot, de syntagme, de phrase, musical, de hauteur, tonique, mélodique expiratoire, dynamique, d’intensité, de force, fixe, interne/externe, primaire/secondaire, emphatique, affectif, expressif, émotif, intellectuel, intellictif, consonantique, didactique, oratoire, traîné, frappé, antithétique… et même du contre-accent. Nous écarterons d’entrée l’acception triviale du mot accent, qui indique une marque de prononciation plus ou moins déviante d’une norme conventionnelle (comme l’accent étranger ou l’accent méridional, par exemple). Cependant, il n’est pas interdit de s’interroger, au passage, sur l’usage de ce terme pour désigner cette caractéristique, ce choix incitant à penser que l’accentuation prosodique est peut être l’aspect le plus révélateur d’une marque de prononciation indexante. Le mot accent employé dans le sens d’élément du système prosodique (de prosodème), se rapporte à la notion de proéminence qui évoque, à son tour, l’image d’une unité détachée de son environnement phonique, à la fois sur le plan physique (ou acoustique) et sur celui de la perception. L’unité accentuable (qui reçoit l’accent) est la syllabe. L’unité accentuelle (qui constitue le domaine de l’accent) est variable : il s’agit du mot ou du morphème pour l’accentuation lexicale et d’une unité de rang supérieur, dans le cas de l’accentuation post- ou supra-lexicale. Il n’est pas rare, en effet, de rencontrer dans la littérature des termes tels qu’accent de syntagme, accent de phrase, ou encore accent d’énoncé. Il est également d’usage de distinguer entre mots 5

Chapitre 1 – Éléments de définition

accentogènes et mots non accentogènes. À la différence des premiers (noms propres, substantifs, adjectifs, etc.) les seconds (en particulier les clitiques) ne peuvent en principe recevoir un accent. En règle générale, il a été admis que les mots pourvus d’un contenu sémantique sont accentogènes, alors que les mots fonctionnels ne possèdent pas cette propriété. Il s’avère, cependant, que cette affirmation doit être révisée lorsqu’on étudie la prosodie du langage en usage (cf. les remarques sur la focalisation au chapitre 8). L’accent peut aussi être qualifié de différentes manières, selon que l’on se réfère à un modèle de hiérarchie accentuelle (qui présuppose plusieurs niveaux ou degrés d’accentuation), à la fonction qu’il assume (lexicale, métrique, pragmatique) ou à sa matérialité (qui se réfère aux paramètres physiques mis en jeu dans la réalisation de l’accent). La première option est représentée, notamment, par la tradition britannique, qui distingue quatre degrés d’accentuation. Soit, du plus fort au plus faible : l’accentuation primaire (ou nucléaire), l’accentuation secondaire, l’accentuation tertiaire et l’absence d’accentuation. C’est ainsi que dans un énoncé comme I ran all the way to the station (je courrais toujours vers la gare), l’accent primaire est porté par la syllabe [sta], l’accent secondaire par la syllabe [ran] et l’accent tertiaire, par la syllabe [way], les autres syllabes étant dépourvues d’accentuation. Les travaux sur le français ne font généralement référence qu’à deux niveaux (ou catégories) d’accentuation : l’accentuation primaire, qui frappe la dernière syllabe pleine des mots accentogènes et l’accentuation secondaire qui est généralement attribuée à la première, et accessoirement, à la seconde syllabe des mots de cette catégorie. La plupart des travaux sur le français admettent aussi l’existence d’un accent initial de mot dont la fonction est de marquer une insistance particulière. Cet accent est le plus souvent qualifié d’accent d’insistance, ou emphatique. L’exemple (a) est une illustration de l’accentuation métrique potentielle du français, qui s’applique à la première et à la dernière syllabe des mots accentogènes, alors que l’exemple (b) illustre un cas d’accentuation initiale d’insistance (nota : les syllabes accentuées sont distinguées par le soulignement). (a) Les déclarations du Président de la République (b) C’est un film superbe ! En définitive, le jeu de l’accentuation initiale et de l’accentuation finale en français est gouverné par un ensemble de contraintes interactives, qui relèvent de l’organisation métrique (ou rythmique), de la syntaxe, de la sémantique et de la pragmatique. Les linguistes2 ont attribué précocement trois fonctions de base à l’accentuation prosodique : la fonction cumulative, la fonction distinctive et la fonction démarcative. La première signifie que l’accentuation permet de dénombrer les mots d’un énoncé, dans la mesure où il existe au moins en accent par 2

6

En particulier N.S. Troubetzkoy, dans ses Principes de phonologie

Définitions des éléments prosodique

mot. La seconde se rapporte au rôle joué par l’accent dans la distinction du sens des mots du lexique. La troisième enfin indique que l’accent peut contribuer à signaler notamment le début ou la fin des mots (ou celui et celle d’unités de rang supérieur, comme un groupement syntaxique, par exemple). Les deux premières fonctions sont le propre des langues dites à accentuation libre (en fait, à accentuation mobile, car en dépit de sa variabilité, la place de l’accent est contrainte par des règles grammaticales), tandis que la troisième se trouve être l’apanage des langues dites à accentuation fixe. L’anglais, le russe, l’allemand, l’espagnol, le roumain, le portugais, le grec moderne sont des langues qui relèvent du premier type, alors que le français, le turc, le finnois, le tchèque, le polonais, le quechua et le macédonien appartiennent au second. L’accent se fixe sur la dernière syllabe du mot en français et en turc, sur la première en finnois et en tchèque, sur la pénultième en polonais et en quechua et sur l’antépénultième en macédonien. Dans le cas des derniers exemples, l’accent ne marque pas la limite du mot, mais une place stable que l’on peut déterminer par le comptage des syllabes à partir du début ou de la fin de celui-ci. Dans une langue à accentuation mobile comme l’espagnol, l’identification de la place de l’accent s’avère cruciale pour accéder à la signification de certains mots. C’est ainsi qu’un mot comme termino signifiera « le terme » s’il est accentué sur la première syllabe, « je termine », s’il est accentué sur la seconde et « il termina », s’il est accentué sur la troisième. En anglais le mot record acquiert le statut grammatical de nom, s’il porte un accent sur la première syllabe (il signifie dans ce cas « enregistrement ») et celui de verbe, si l’accent est associé à la dernière syllabe (le mot signifie alors « enregistrer »). Il a pu être établi que dans les langues à accentuation mobile, l’une des fonctions essentielles de l’accent est d’indiquer la structure morphologique du mot, ce qui est particulièrement effectif dans des langues comme l’italien et le russe, par exemple. Dans le cas de l’italien, si le mot contino porte l’accent sur la syllabe [ti], il signale ainsi un morphème accentogène, en l’occurrence un diminutif et le mot signifie « petit conte ». En revanche, si l’accent se place sur la première syllabe, il indique que la séquence [tino] est un morphème non accentogène, en l’occurrence, la troisième personne du pluriel du subjonctif présent (« qu’ils comptent »). Les relations de l’accentuation à la morphologie dans diverses langues ont particulièrement été étudiées par le linguiste français Paul Garde3. Les fonctions basiques de l’accentuation que l’on vient de résumer ont été établies en prenant d’abord pour référence le mot. Toutefois, en étendant son champ d’investigation à la phrase, à l’énoncé et au discours, la linguistique a dû prendre en compte d’autres fonctions assumées par l’accentuation, notamment des fonctions rythmiques, syntaxiques, sémantiques et pragmatiques (comme la fonction de focalisation dont il sera question plus tard, dans le cours de cet ouvrage). 3

Paul Garde : « L’Accent », 1968, Presses Universitaires de France

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Chapitre 1 – Éléments de définition

Bien que le mot ait servi initialement de référence au fondement d’une typologie accentuelle, il s’avère que seule l’accentuation distinctive (dont bénéficient les langues à accentuation mobile) mérite l’appellation d’accentuation lexicale. Cette accentuation particulière possède en effet un statut similaire à celui du ton lexical des langues tonales dont on a parlé précédemment. En quoi l’accent distinctif se distingue t-il alors du ton distinctif sur le plan formel ? Le ton lexical est un prosodème (appelé aussi tonème) dont la distinctivité repose sur la faculté que possède une langue d’opposer, au sein d’un même paradigme lexical, des traits mélodiques de registre et de configuration, représentés par des tons hauts, bas, montants, descendants, etc. Dans ce sens, les oppositions qu’entretiennent ces tons lexicaux sur l’axe paradigmatique sont similaires à celles que contractent les phonèmes segmentaux dans cette même dimension. En revanche, l’accent lexical est un prosodème (qualifié parfois d’accentème) dont la distinctivité est assujettie à la position qu’il occupe dans la chaîne de syllabes formant le mot (soit, en se reportant à l’axe syntagmatique du déroulement de la parole). De fait, une syllabe est reconnue comme accentuée, par rapport aux syllabes adjacentes qui ne le sont pas, alors que le ton n’est pas identifié en fonction de la position qu’il occupe dans le mot, mais en vertu de ses attributs mélodiques. Dans une langue à accentuation mobile, il existe deux patrons accentuels possibles pour un mot bisyllabique : [+ Ac /- Ac] et [-Ac/ + Ac], alors que, pour un mot similaire, le nombre de patrons tonals potentiels passe à quatre, pour une langue dont le système tonal ne comporte que deux tons, soit un ton Haut et un ton Bas: [H H], [H B], [B H] et [B B]. La distinction entre ton lexical et accent lexical ne permet pas de rendre compte de toutes les langues nanties d’une prosodie lexicale. Quelques unes d’entre elles se singularisent, en effet, en paraissant appartenir aux deux catégories à la fois. Les exemples les plus souvent cités sont ceux du japonais et du suédois que l’on définit souvent comme des langues à accentuation mélodique. En réalité, bien que ces langues exhibent en même temps des caractéristiques prosodiques qui sont celles des systèmes paradigmatiques (ton lexical) et des systèmes syntagmatiques (accent lexical), elles se différencient par la préséance qu’elles accordent à l’un ou à l’autre de ces systèmes. C’est ainsi que le japonais est prioritairement tonal et secondairement accentuel, alors que cet ordre est inversé pour le suédois. Afin de rendre compte de la place qu’occupe cette distinction dans le cadre de l’élaboration d’une typologie de la prosodie lexicale, il a été proposé4 de qualifier le japonais de langue à ton accentuel et le suédois de langue à accent tonal. Jusqu’à présent, nous avons traité succinctement des aspects formels, fonctionnels et typologiques de l’accentuation. Pour approfondir la connaissance de ce phénomène, il reste à aborder la question de la matérialité de l’accent. 4

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Daniel Hirst et Albert Di Cristo : « Intonation Systems », Cambridge University Press, 1998

Définitions des éléments prosodique

Pour ce faire, nous effectuerons d’abord une brève incursion dans la terminologie de l’anglais. Alors que le français connaît un seul terme : celui d’accent, l’anglais en dispose de deux, celui de stress et celui d’accent, que l’on prend souvent à tort pour des synonymes. Le premier recèle en fait deux signification, car il peut désigner soit une catégorie accentuelle abstraite : l’accent sous-jacent (rattaché à l’accentuation lexicale), soit une forme d’accentuation particulière, dont la réalisation s’accompagne d’une augmentation de la force articulatoire, de l’intensité, de la durée et de certaines modifications du spectre acoustique de la voyelle de la syllabe accentuée. Le terme stress désigne, dans ce cas, l’accent de force, défini comme un accent dynamique. Le terme anglais accent est davantage utilisé pour faire référence à l’accent que signalent principalement des variations de la mélodie, celle-ci étant régulièrement dénommée pitch en anglais. C’est ainsi que dans les travaux sur la prosodie de l’anglais (en particulier, dans la tradition américaine, dont l’origine remonte au linguiste Dwight Bolinger), le mot accent est devenu progressivement synonyme d’accent mélodique, sous la qualification attitrée de pitch accent, ce dernier s’opposant ainsi à l’accent dynamique que désigne, comme on l’a vu, le terme stress. Pour résumer brièvement les remarques précédentes, il importe d’abord de souligner le fait que l’accent, qualifié de stress renvoie à un élément du système prosodique qui peut revêtir deux interprétations différentes, selon l’angle sous lequel on l’envisage. En tant qu’entité abstraite du niveau de la représentation phonologique ou cognitive, il constitue la pierre de touche de ce qu’il est convenu d’appeler le patron accentuel (stress pattern) de l’énoncé. Ce patron équivaut à une représentation mentale des relations que contractent les proéminences accentuelles au sein de cet énoncé. Il fournit ainsi une représentation phonologique de la force métrique relative (metrical strength) de ces proéminences. Nous verrons ultérieurement que la représentation phonologique des patrons accentuels se réfère à deux types de formalismes : l’arbre métrique et la grille métrique. En tant qu’entité concrète (et donc accessible à l’analyse empirique), la notion de stress fait référence à l’accent dynamique, lequel est doté de caractéristiques acoustiques et auditives particulières. Celles-ci résultent du renforcement de la force articulatoire qui est mise en jeu dans la production de ce type d’accent. Le terme de pitch accent a également une double signification. La première, qui est la plus courante, se rapporte à l’idée que l’accent ainsi dénommé est signalé principalement par des variations de la mélodie. La seconde signification, plus formelle, est davantage motivée par la théorie et ne se conçoit véritablement que dans le cadre de l’approche métrique-autosegmentale de la prosodie, telle la conçoit Janet Pierrehumbert, par exemple. Selon cette approche (cf. chapitre 7), qui met en avant les relations entre les patrons accentuels et les patrons intonatifs, le pitch accent  représente un élément essentiel de la construction des ces patrons. La théorie considère, en effet, que les patrons 9

Chapitre 1 – Éléments de définition

intonatifs sont formés par des tons qui sont attribués aux pitch accents et aux bornes qui marquent les limites des patrons intonatifs (ou des tunes, selon le terme employé en anglais). D’où l’appellation de ton de frontière, boundary tone, que l’on utilise pour qualifier ces bornes. Grâce aux qualités mélodiques dont il est pourvu (ton haut, bas, montant, descendant, montant-descendant, etc.), le pitch accent participe à la construction de la configuration mélodique globale des patrons intonatifs. D’autre part, étant donné la prégnance auditive des changements de la mélodie, les pitch accents  contribuent, de surcroît, à l’identification des proéminences métriques sur lesquelles ils viennent s’ancrer. Les conditions de bonne formation prosodique stipulent, en effet, que les pitch accent doivent s’aligner avec ces proéminences qui sont (comme on l’a précisé plus haut) les entités constitutives du patron accentuel qui représente le squelette métrique de l’énoncé. Selon la théorie métrique-autosegmentale, la suite des syllabes qui forment l’énoncé représente le texte. Si l’on se range à cette proposition, il apparaît que l’association tune-to-text (ou intonation-texte, qui constitue un dispositif central dans cette théorie) est médiatisée par la structure métrique de l’énoncé. La figure 2 illustre de façon schématique les propos qui viennent d’être formulés. On trouvera une discussion édifiante des termes stress et accent dans l’ouvrage de Robert Ladd5, ainsi que dans celui de Mary Beckman6. B A

C%

3



2

 

1

S



S



S



 

S



S



S





S

S

Figure 2.  Illustration des relations entre : (1) le texte (représenté par une suite de syllabes), (2) le patron accentuel et (3) le patron intonatif d’un énoncé fictif. Les syllabes accentuées sont notées par des capitales et soulignées. Les colonnes d’astérisques représentent le niveau de la force métrique relative de ces syllabes. Les lettres A et B indiquent les pitch accents et C%, signale l’emplacement d’un ton potentiel de frontière (boundary tone). 5 6

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« Intonational Phonology », Cambridge University Press, 1996 Mary Beckman ; « Stress and Non-Stress Accent », Dordrecht, Foris Publications, 1986

Définitions des éléments prosodique

Le rapide détour par la terminologie anglaise que l’on vient d’effectuer, à permis de clarifier un point d’ambiguïté terminologique. Ce détour a également conduit à d’aborder la question de la matérialité de l’accentuation, qui se rapporte à l’analyse des paramètres objectifs par lesquels l’accent est concrètement réalisé. Nous ne développerons pas ce sujet, qui sera repris plus tard, lorsque nous aborderons la question des niveaux d’analyse de la prosodie (cf. chapitre 6). Nous rappellerons néanmoins que l’accent a souvent été défini, dans le passé (notamment par les phonéticiens), par référence à sa substance physique ou auditive, C’est ainsi que l’on rencontre fréquemment, dans la littérature, des expressions comme accent d’intensité, accent de hauteur, accent de durée, lesquelles sont souvent associées à l’idée que le premier serait le propre de la langue allemande, le second de la langue anglaise et le troisième, du français. Il convient, toutefois, d’être défiant à l’égard de telles généralisations monovalentes. En effet, le plus souvent, la réalisation de l’accent n’est pas assujettie à la variation d’un paramètre unique (à l’inverse de la relation univoque, qui lie le ton ou l’intonation à la fréquence fondamentale). De ce fait, la réalisation de l’accent dispose de davantage de degrés de liberté et peut donc recourir à des stratégies complexes, qui mettent en œuvre, de façon conjointe ou complémentaire, plusieurs paramètres. La façon dont ces paramètres se combinent influence notablement la perception de la qualité subjective de l’accent. Il importe également de tenir compte de la variation du spectre acoustique (et donc, sur le plan subjectif, du timbre) des voyelles, qui accompagne la réalisation de l’accent dans une langue donnée. De ce point de vue, des travaux récents suggèrent que les modifications du spectre acoustique des voyelles dues à l’accent, affectent surtout une zone particulière de ce spectre, ce qui est désigné par les expressions de balance spectrale et de  tilt spectral. Il est vrai, cependant, que l’incidence de ce paramètre est plus marquée dans certaines langues que dans d’autres. C’est en particulier vrai pour l’anglais où les syllabes inaccentuées voient le timbre des leurs voyelles fortement réduit, ou neutralisé, alors que les phénomènes de réduction et de neutralisation (soit l’appauvrissement du timbre ou son assimilation à la voyelle neutre, ou schwa) sont bien moins accusés dans une langue comme le français. Enfin, la question de savoir si l’un des divers paramètres prosodiques qui participent à l’actualisation de l’accent s’avère, dans une langue donnée, perceptivement plus efficace que d’autres, relève de l’étude phonétique de la hiérarchie des paramètres de l’accent. Il reste beaucoup à faire dans ce domaine qui demeure relativement peu exploré. Le qualificatif tonique que l’on associe à l’accent peut prêter à confusion. Ce terme ne doit pas être interprété, en effet, comme l’équivalent de mélodique (auquel cas, l’expression « accent tonique » serait plus ou moins synonyme de pitch accent). L’expression fait simplement référence à la syllabe 11

Chapitre 1 – Éléments de définition

accentuée (quel que soit le dispositif phonique employé pour lui octroyer ce statut), par opposition à la syllabe inaccentuée ou atone. L’usage de ce dernier terme ne signifie pas, non plus, que la syllabe concernée est privée de tonalité ou de mélodicité, mais simplement qu’elle n’est pas pourvue d’un accent. Les concepts d’accentuation et de rythme (ou de métrique) sont intimement liés, car il est admis que le rythme linguistique se construit sur une alternance plus ou moins régulière de temps forts et de temps faibles, les temps forts étant assimilables, dans la parole, à des syllabes accentuées et les temps faibles, à des syllabes inaccentuées. Ces alternances sont à l’origine de la formation de groupements ou de mesures dont la succession dans le temps donne lieu à un déploiement de motifs rythmiques plus ou moins variables (cf. chapitre 7). Ce déploiement est perçu comme un processus dynamique, de sorte qu’il serait fondé de définir globalement le rythme comme un ordre imposé à un mouvement inscrit dans la temporalité. Le rythme linguistique peut être regardé comme la récurrence de groupements fondée sur une organisation hiérarchique des niveaux de proéminence syllabique (ou des niveaux d’accentuation). La production et la perception du rythme impliquent, en effet, l’émergence de groupements (ou plus précisément, de groupes accentuels), que l’on appelle généralement des groupes rythmiques. D’autre part, le rythme est une structure hiérarchique, ce qui signifie qu’il participe d’une organisation formée de plusieurs niveaux relatifs de groupements, ces niveaux étant corrélés aux degrés de force des proéminences syllabiques qui contribuent à la formation de ces groupements. Nous verrons par la suite comment les degrés de proéminence (ou d’accentuation) participent à la construction du « phrasé prosodique », dans une langue comme le français. Les termes de rythme et de métrique sont souvent employés comme des synonymes. C’est probablement l’impression qu’a pu donner la lecture du précédent paragraphe. Toutefois, il est plus ou moins convenu, dans les travaux sur la musique, comme dans les recherches sur la parole, d’utiliser (i) le terme de métrique pour désigner l’étude formelle de la structure sous-jacente (ou abstraite) du phénomène rythmique (et des représentations abstraites qui s’y rattachent) et (ii) celle de rythme, pour décrire la manifestation concrète de ce phénomène, au niveau des structures de surface qui actualisent la prononciation des énoncés (cf. chapitre 7). La notion de mètre, prise dans une acception similaire, se rencontre en poésie où, elle évoque les contraintes formelles auxquelles doit se plier la versification. L’un des courants majeurs de la mouvance actuelle de la phonologie non linéaire (ou plurilinéaire), est représenté par la Théorie Métrique. (cf. supra). Cette théorie est sous-tendue par l’idée-force que l’accentuation n’est pas autre chose que l’expression d’une structure rythmique sous-jacente (c’est-à-dire :d’une structure métrique), dont la projection concrète contribue à la structuration des mots, des syntagmes et des phrases 12

Définitions des éléments prosodique

qui forment l’ossature du discours. C’est dans ce sens que l’on peut affirmer que la prosodie organise la parole. La tradition stipule l’existence de deux types fondamentaux d’organisation du rythme, lesquelles concourent à supposer l’existence de deux grandes familles de langues : les langues dites à isochronie syllabique (comme le français et l’italien, par exemple) et les langues dites à isochronie accentuelle (dont l’anglais serait le prototype). Les premières se singulariseraient par une grande régularité de la durée des syllabes consécutives dans la chaîne phonique, alors que secondes, qui n’exhibent pas cette régularité métronomique, se caractériseraient davantage par une durée sensiblement égale des intervalles compris entre les syllabes accentuées. L’emploi du conditionnel dans les phrases précédentes signifie que cette distinction n’a pas fait l’objet, jusqu’à présent, d’une validation empirique convaincante. Il a pourtant été suggéré, dans des recherches menées récemment par des psycholinguistes, que cette distinction pourrait jouer un rôle décisif dans la reconnaissance et l’acquisition, par l’enfant, des propriétés prosodiques de sa langue maternelle.

2.3. La dimension temporelle de la prosodie 2.3.1. La durée des unités linguistiques La dimension temporelle de la prosodie concerne trois classes de phénomènes qui se rapportent : i) à la durée des unités linguistiques, ii) aux pauses et iii) au tempo. À l’exception de la pause, qui possède un statut particulier, l’approche de la dimension temporelle de la prosodie nécessite que l’on définisse au préalable l’unité linguistique qui est concernée par les variations de cette dimension. En règle générale, il s’agit du phonème (vocalique ou consonantique) et de la syllabe (mais il n’est pas interdit de s’intéresser également, selon les objectifs fixés, à la durée des mots, des groupes prosodiques, des syntagmes, etc.). La plupart des langues opposent ainsi des phonèmes brefs et des phonèmes longs, ainsi que des syllabes brèves et des syllabes longues. Il a également été constaté que tous les éléments constitutifs d’une syllabe ne subissent pas nécessairement le même effet d’allongement. C’est ainsi que cet effet peut affecter davantage, selon le cas, l’attaque ou la rime de l’unité syllabique, soit encore : l’attaque, ou le noyau, ou la coda de cette unité (Dans une syllabe : consonne + voyelle + consonne, comme celle qui forme le mot « tête », l’attaque correspond à la consonne initiale; le noyau, à la voyelle et la coda, à la consonne finale. La rime est constituée de voyelle et de la consonne finale). Lorsque les différences de longueur des phonèmes sont distinctives au niveau du lexique, il est d’usage de les désigner comme des oppositions de quantité. À titre d’exemple, la différence entre nono (consonne [n] brève) et nonno (consonne [n] longue) en italien, est à interpréter comme une opposition 13

Chapitre 1 – Éléments de définition

phonologique de quantité, qui permet de distinguer en l’occurrence les mots « neuvième » et « grand-père ». De nombreuses langues possèdent des oppositions de quantité (l’anglais, l’allemand, l’italien, le hongrois, l’estonien, le finnois, l’islandais, le néerlandais, etc.). La langue française connaît également (ou a connu) ce type de distinction, comme l’opposition entre « mètre » (voyelle brève) et «  maître  »  (voyelle longue), ou entre «  Sarah  »  (voyelle brève) et « Sahara » (voyelle longue). Il arrive qu’une distinction similaire à celle qui différencie « il attend » et « il l’attend », par exemple, soit interprétée comme une opposition de longueur entre les consonnes [l]. En réalité, le second exemple illustre davantage un phénomène appelé gémination. Celui-ci ne peut être complètement assimilé à la réalisation d’une consonne longue (notée [l  :]), dans la mesure où la réalisation du [l] est scindée par une coupe syllabique, justifiant ainsi une transcription différente [l l]. Les distinctions phonologiques de durée sont parfois exprimées en mores (notées par le symbole [µ]), qui sont des unités de longueur dont la taille est inférieure à celle du phonème. L’interprétation de l’organisation temporelle des mots en termes de mores est courante dans les travaux sur la phonologie du japonais. Ces derniers considèrent par exemple que dans le mot biru (« bâtiment »), la voyelle [i] comprend deux mores, tandis que dans le mot biiru (« bière ») elle en comporte trois.  Au niveau supralexical, c’est généralement la syllabe (ou une partie de cette dernière, telle que la rime) qui constitue l’unité de référence de l’organisation temporelle. Parmi les phénomènes les plus fréquemment analysés, figure en bonne place l’effet d’allongement final. Cet effet peut concerner l’allongement de la syllabe finale d’une unité prosodique comme le mot prosodique, le syntagme phonologique ou le groupe intonatif. Cet effet contribue ainsi, en conjonction avec d’autres marques prosodiques, à signaler la délimitation de ces unités, ce qui signifie que la durée participe à l’une des fonctions essentielles de la prosodie : la fonction démarcative (ou délimitative).

2.3.2. La pause De façon très générale, la pause peut être définie simplement comme la manifestation physique (pause objective) ou perceptive (pause subjective) d’une interruption ponctuelle du flux régulier de la parole (cette régularité étant matérialisée par l’enchaînement continu des sons et de la modulation prosodique qui accompagne ces derniers). L’approfondissement de la notion de pause montre cependant qu’elle recouvre un phénomène complexe, à la fois par sa nature et par sa fonctionnalité. L’examen de la nature de la pause fait apparaître qu’elle ressortit à deux catégories : la pause silencieuse et la pause dite remplie. À la différence de la première, la seconde n’est pas identifiée par la présence d’un silence plus ou moins long, mais par l’allongement exceptionnel d’une syllabe 14

Définitions des éléments prosodique

ou par la production d’interjections telles que « euh « ou « hum ». Ces phénomènes, dits d’hésitation, ainsi que les « faux-départs » (« le frè... l’ami de mon frère... ») et les répétitions (« ce sont des des… des… des mensonges »), ont souvent été interprétés, dans le passé, comme des dysfluences dégradantes pour la qualité de la parole, ou comme des effets incontrôlés liés à l’émotion et à l’anxiété des locuteurs, c’est-à-dire comme des phénomènes marginaux pour l’analyse linguistique. Cette conception mérite cependant d’être réexaminée à la lumière de la fonctionnalité des pauses et de leur statut cognitif. Il est prouvé que la distribution et la fréquence des pauses peut être révélatrice (à l’instar d’autres phénomènes) de certains dysfonctionnements de la parole et du langage, comme ceux qui peuvent être consécutifs au développement de la maladie de Parkinson, par exemple, ou à une lésion cérébrale. Dans le cas de la parole non pathologique, la présence des pauses objectives et subjectives est l’expression d’une pluralité fonctionnelle que la linguistique ne peut ignorer. Certaines pauses silencieuses sont qualifiées de respiratoires dans la mesure où elles sont inévitablement associées à des prises de souffle. Il s’avère, cependant, que ces prises de souffle s’opèrent d’une façon telle qu’elles se gardent, en principe, de perturber la cohérence grammaticale et sémantique des énoncés et du discours. En d’autres termes, il n’est pas permis de prendre son souffle n’importe quand. Les pauses respiratoires sont donc la conséquence d’un compromis entre l’exécution de contraintes de bas niveau (ou physiologiques) et de contraintes linguistiques de haut niveau (ou cognitives). Il est fréquent que certaines pauses soient réalisées sans qu’elles s’accompagnent pour autant d’une prise de souffle. Elles peuvent alors contribuer, par leur distribution, à signaler les frontières des groupes syntaxiques et des groupes de sens. Il apparaît que les pauses remplies, que l’on assimile à des hésitations, reflètent le plus souvent une importante activité cognitive de recherche lexicale et de planification de la parole préverbale (mentalement représentée, mais non encore prononcée). L’investigation de ces pauses intéresse en particulier la psycholinguistique, qui tente d’expliquer le fonctionnement des mécanismes sous-jacents à la production et à la compréhension de la parole. L’étude des pauses est intéressante à plus d’un titre, car leur rôle ne se borne pas à assumer des fonctions de planification et de structuration linguistique. En effet, il apparaît qu’elles jouent aussi un rôle important dans une triple perspective qui se rapporte, respectivement, à la rhétorique du discours, à ses dimensions phonostylistiques et aux informations relatives aux diverses pathologies du langage et de la parole. Nous présentons dans le tableau suivant un récapitulatif des différentes catégories fonctionnelles de pauses, en précisant la nature des contraintes qui motivent leur occurrence. 15

Chapitre 1 – Éléments de définition

Type de pause

Nature de la contrainte (BN : bas niveau, HN : haut niveau)

Respiratoire

B N. Physiologique.

Hésitation

H N. Cognitive: recherche lexicale et planification de la parole.

Structurale

H N. Linguistique: délimitation des unités constitutives des énoncés et du discours: groupes syntaxiques et groupes de sens.

Pragmatique

H N. Rhétorique et pragmatique du discours.

Phonostylistique

H N /B N. Style intentionnel et caractéristiques du locuteur.

Aléatoire

HN/B N. Dysfonctionnements du langage et de la parole.

Tableau I.  Illustration des relations entre les catégories fonctionnelles des pauses et la nature des contraintes qui président à leur actualisation.

2.3.3. Le tempo Le terme tempo est utilisé en concurrence avec ceux de débit ou de vitesse d’élocution (voire de vitesse d’articulation), pour évaluer subjectivement, ou quantifier, la vitesse de déroulement de la parole (estimée concrètement en nombre de syllabes par unité de temps, celle-ci étant habituellement la seconde). Le tempo peut être perçu comme un trait idiolectal (certains individus parlent plus rapidement que d’autres), comme une marque contribuant à caractériser un sociolecte, une langue, un dialecte, ou un parler régional. Outre cette fonction identificatrice plurielle, les modifications du tempo sont susceptibles de véhiculer diverses informations, d’ordre linguistique ou paralinguistique. Dans la parole continue, ces variations peuvent contribuer à signaler des parenthèses ou des gloses, des figures rhétoriques, ou encore l’expression d’un discours rapporté. Les variations du tempo sont également attestées dans certains styles de discours (comme le commentaire sportif, par exemple) ou l’expression des attitudes et des émotions. Une des questions intéressantes relatives au tempo (qui n’a pas encore fait l’objet de recherches approfondies), concerne ce qui peut advenir des proéminences accentuelles, des groupements rythmiques, de l’organisation tonale et de la durée syllabique et segmentale, lorsque ces éléments fondamentaux de la structure prosodique sont soumis aux incidences ponctuelles, ou à long terme, de cette variable.

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Les paramètres prosodiques

3. Les paramètres prosodiques Parmi les termes employés dans les ébauches de définition de la prosodie que nous avons proposées plus haut, figurent les expressions éléments prosodiques et paramètres prosodiques. Comme nous l’avons précisé, les premiers désignent conventionnellement des entités abstraites ou des catégories (parfois dénommées prosodèmes) qui participent de la construction des systèmes prosodiques en général, mais qui peuvent, tout aussi bien, être analysées indépendamment, ou constituer l’objet d’étude de disciplines particulières. (Il en va ainsi, notamment, des tons et de la tonologie, de l’intonation et de l’intonologie, de l’accent et de l’accentologie, des pauses et de la pausologie, etc.). Le terme de paramètre que nous utilisons dans l’expression « paramètre prosodique « fait référence ici à des variables concrètes, par lesquelles les éléments et les structures prosodiques sont actualisés dans l’expression de la parole. Ces variables concrètes, que le recours à l’expérimentation permet de visualiser et de quantifier, se rapportent à la fréquence fondamentale (F0), à la durée et à l’intensité (si l’on considère la substance acoustique de la prosodie) et à la mélodie (ou la hauteur), à la longueur et à la sonie (si l’on se reporte à sa substance auditive). Tous ces termes feront l’objet de définitions plus précises lorsque nous aborderons l’étude de la matérialité et celle niveaux d’analyse de la prosodie, dans les chapitres 5 et 6. Afin de prévenir une confusion, il est utile de préciser que la notion de paramètre peut également faire référence à des entités abstraites. Il en va de la sorte dans la Théorie de la Grammaire Générative, initiée par le linguiste Noam Chomsky. On rencontre fréquemment, chez les auteurs qui adhèrent à cette théorie, l’usage des termes principes et paramètres, qui ont supplantés progressivement la notion de règles. Le premier terme désigne les invariants qui déterminent les systèmes linguistiques en général (ou, plus précisément, la grammaire universelle, telle que la conçoit l’approche générative), alors que le second se rapporte à la variabilité de ces principes en fonction des langues. Par exemple le paramètre syntaxique « tête » devra spécifier la place de cette entité dans le syntagme, en distinguant ainsi « tête-en-premier » (cas de l’anglais) vs. « tête-en-dernier » (cas du japonais). Dans le cadre de la phonologie métrique, le paramètre abstrait « tête » peut s’appliquer à la position de la syllabe accentuée au sein de l’unité accentuelle minimale que représente le « pied ». Ce terme est employé pour désigner une unité métrique, formée d’une syllabe accentuée (la tête) et d’un nombre limité de syllabes inaccentuées, qui précèdent ou qui suivent celle-ci. Conformément à ces critères, il est avancé que les pieds métriques ont la tête à gauche en anglais (left-headed feet) et la tête à droite en français (rightheaded feet). Cette distinction peut être mise en évidence par la comparaison des exemples suivants (dans lesquels les syllabes accentuées sont notées en capitales et les limites des pieds métriques sont signalées par des traits verticaux) : They | predicted his e | lection | vs Ils ont prédit | son élection| 17

Chapitre 1 – Éléments de définition

D’une façon générale, la distinction entre les principes et les paramètres, telle qu’elle est envisagée dans le cadre théorique de la Grammaire Générative, s’apparente à l’idée que la faculté de langage est comparable à un réseau électrique relié à des commutateurs. Dans l’optique de cette comparaison, le réseau représente les principes invariants du langage et les commutateurs, les choix paramétriques que font les langues. Un certain positionnement des commutateurs correspond ainsi à une langue donnée (ou à une famille de langues) et un positionnement différent, à une autre langue (ou à une autre famille de langues), etc.

4. Pourquoi les éléments prosodiques sont-ils qualifiés de suprasegmentaux ? L’expression éléments suprasegmentaux, que l’on utilise d’ordinaire (principalement en anglais : cf. le terme suprasegmentals) pour nommer les éléments prosodiques, revêt plusieurs significations, qui découlent en réalité de l’interprétation que l’on donne du préfixe supra-. Ce dernier peut en effet être pris, soit dans le sens de « au-delà de », soit dans celui de « au-dessus de ». Pour saisir la signification de ces interprétations, il convient de préciser que les éléments segmentaux, au-delà ou au-dessus desquels se situent les éléments suprasegmentaux, ne désignent pas autre chose que les segments phonémiques, représentés par les phonèmes vocaliques et consonantiques de la couche verbale. Une première acception, désormais obsolète, du terme suprasegmental tend à accréditer l’idée que les éléments prosodiques ne sont pas des entités segmentables. L’intonation, par exemple, serait un continuum qui n’est pas divisible en unités discrètes comparables aux phonèmes. C’est pour cette raison que les éléments suprasegmentaux ont été décrétés marginaux au regard de l’analyse linguistique, ou exclus de cette dernière. Il est certain que ce point de vue est totalement incompatible avec les présupposés théoriques des approches contemporaines de la phonologie prosodique, dont il sera question dans le chapitre 7. La conception la plus courante du terme suprasegmental renvoie à l’idée que les éléments suprasegmentaux s’appliquent à des domaines dont la portée dépasse celle des segments phonémiques. C’est ainsi que le domaine d’incidence de l’accent est la syllabe, celui de l’intonation, l’énoncé et ses constituants. Cette conception se heurte cependant à des difficultés, dès lors que l’on considère des éléments prosodiques comme le ton ou la more (cf. supra). Si, d’une part, dans une langue donnée, un segment vocalique peut comporter deux mores et si, d’autre part, l’unité qui porte les tons n’est pas la syllabe, mais la more, l’appellation de suprasegmental devient alors difficilement tenable, car nous serions en présence d’éléments suprasegmentaux plus petits 18

Quelques définitions de la prosodie

que les segments phonémiques de référence (ce qui justifierait, dans ce cas, l’usage plus adéquat du terme infrasegmental). La dernière façon d’appréhender le mot suprasegmental consiste à suggérer que les éléments prosodiques se superposent aux segments phonémiques. La parole serait ainsi formée de deux lignes : une ligne segmentale formée par des suites de phonèmes représentatifs de la couche verbale et une ligne (ou plusieurs lignes) suprasegmentale, constituée par la prosodie. Cette conception évoque à la fois la superposition de la musique aux paroles dans le chant et les représentations classiques de la phonétique, dans lesquelles on peut voir les tracés de la mélodie figurer au-dessus de la transcription phonétique des énoncés. Outre sa naïveté, cette manière de concevoir la suprasegmentalité de la prosodie est empreinte d’une résonance moderne, dans la mesure où les théories phonologiques actuelles (en rupture avec celles du passé) stipulent que les représentations phonologiques sont plurilinéaires. L’emploi de ce terme (équivalent à celui de non linéaire, qui peut s’avérer ambigu) revient à dire que ces représentations sont formées de plusieurs rangs ou de plusieurs lignes dont certaines sont entièrement dédiées à la prosodie. Il se trouve, d’autre part, que dans l’approche plurilinéaire de la prosodie, les éléments prosodiques sont souvent regardés, à l’instar des phonèmes, comme des segments (à vrai dire, comme des autosegments, indépendants des segments phonémiques ; d’où la nécessité de recourir à des représentations plurilinéaires). Il est fréquent, en effet, de parler de segment tonal à propos des tons qui entrent dans la constitution des patrons intonatifs (cf. supra). Il devient alors incohérent d’affirmer que les éléments prosodiques sont des segments – ou des autosegments – suprasegmentaux ! En revanche, il est légitime de déclarer, (si l’on se réfère au paradigme général de la phonologie métrique-autosegmentale, décrit dans le chapitre 7), que les représentations des formes sonores des langues (i.e. les représentations phonologiques) sont plurisegmentales, dans le sens où elles représentent, par des rangs superposés (qu’on appelle en anglais des tiers), le codage conjoint des segments phonémiques et des segments prosodiques (ces codages feront également l’objet d’une présentation, dans la partie de l’ouvrage qui concerne les représentations de la prosodie, cf. le chapitre 7).

5. Quelques définitions de la prosodie Nous avons rassemblé dans ces annexes quelques définitions de la prosodie empruntées à divers auteurs (numérotées de 01 à 07), ainsi qu’une définition de synthèse proposée par nos soins (08). Ce petit catalogue de définitions est destiné à approfondir la compréhension du concept de prosodie, en le présentant sous divers éclairages. Cet approfondissement nous a paru utile pour compléter le présent chapitre et pour préparer la lecture des chapitres à venir. 19

Chapitre 1 – Éléments de définition

On remarquera que les définitions citées en référence ne sont pas classées par ordre chronologique, mais en fonction de l’information qu’elles délivrent. D’autre part, nous avons décidé de conserver certaines définitions dans leur langue d’origine, l’anglais, en tenant compte du fait que la majorité des travaux actuels sur la prosodie sont rédigés dans cette langue. 01. The word “prosody” comes from ancient Greek, where it was used for a “song” sung with instrumental music. In later times the word was used for “science of versification” and the “laws of metre” governing the modulation of the human voice in reading poetry aloud. In modern phonetics the word “prosody” and its adjectival form “prosodic” are most often used to refer to those properties of speech that cannot be derived from the segmental sequence of phonemes underlying human utterances7. 02. Le terme prosodie se réfère à un domaine de recherche vaste et hétérogène comme le montre la liste des phénomènes qu’il évoque : accent, ton, quantité, syllabe, jointure, mélodie, intonation, emphase, débit, rythme, métrique, etc.8 03. Étude de phénomènes variés étrangers à la double articulation mais inséparables du discours comme la mélodie, l’intensité, la durée, etc. L’accent, le ton sont des unités prosodiques remplissant des fonctions différentes et mettant en œuvre ces facteurs selon des modalités diverses variant avec les langues9. 04. La prosodie est l’étude des traits phoniques qui dans les différentes langues affectent des séquences dont les limites ne correspondent pas au découpage de la chaîne parlée en phonèmes, qu’elles soient inférieures comme les mores, ou supérieures, comme la syllabe ou différentes parties du mot ou de la phrase. La prosodie est donc une partie de la phonologie, au même titre que la phonématique, qui étudie uniquement les unités phonématiques10. 05. La prosodie (ou étude de l’intonation au sens large) concerne ce qui est à un niveau « supérieur » à celui de la plus petite unité isolable sur le plan phonétique ou phonologique, que l’on appelle « phone », « segment » ou « phonème », selon le niveau d’analyse auquel on se place11. 06. A term used in suprasegmental phonetics and phonology to refer collectively to variations in pitch, loudness, tempo and rhythm. Sometimes it is used looserly as a synonym for “suprasegmental”, but in a narrower sense it refers only to the above variables, the remaining suprasegmental features being labelled paralinguistic12. 7 S.

Nooteboom (1997). « The prosody of speech », in W. Hardcastle et J. Laver : « The Handbook of Phonetic Sciences ». Blackwell. 8 J. Dubois et al. (1994). «  Dictionnaire de la Linguistique et des Sciences du Langage ». Larousse. 9 G. Mounin (1974). “ Dictionnaire de la Linguistique ”. Presses Universitaires de France. 10 J. Dubois et al. (1973). « Dictionnaire de Linguistique ». Larousse. 11 O. Ducrot et J.M. Schaeffer (1995). « Nouveau Dictionnaire Encyclopédique des Sciences du Langage ». Editions du Seuil. 12 D. Crystal (1991). « A Dictionary of Linguistics and Phonetics ». Blackwell.

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Quelques définitions de la prosodie

07. Sous-composante de la phonologie et /ou de la phonétique (l’une et l’autre sont alors dites suprasegmentales), la prosodie se consacre à l’étude des unités du plan de l’expression qui dépassent les dimensions des phonèmes. Ces unités suprasegmentales sont appelées généralement prosodèmes13.

5.1. Que nous apprennent ces définitions ? Le terme prosodie, issu du grec ancien, a pris successivement la signification de chant mélodique, puis de métrique (01). Il est parfois considéré de nos jours comme synonyme d’intonation (05), mais il désigne habituellement un ensemble composite de phénomènes (02) qui ont en commun d’échapper à la double articulation du langage en morphèmes et phonèmes (03) et de s’appliquer à des domaines qui ne coïncident pas avec ceux que couvrent les unités segmentales que sont les phones et les phonèmes (01, 04, 05, 07). Cette particularité leur confère l’appellation d’éléments suprasegmentaux (06, 07), sans les exclure pour autant de la phonologie (04, 06) dont la prosodie constitue, à l’instar de la phonématique, une de ses composantes (04). L’appellation de suprasegmental peut s’avérer critiquable, si elle ne sert à désigner que des unités linguistiques (des prosodèmes) dont l’incidence dépasse celle segments phonétiques et phonémiques (04). D’autre part, même en admettant le bienfondé de cette appellation, il s’avère que le terme suprasegmental possède une extension plus large que celui de prosodie, qui ne concerne en vérité que la part linguistique des phénomènes dits suprasegmentaux (06).

5.2. Essai de définition synthétique (08). La prosodie est une branche de la linguistique consacrée à l’analyse des propriétés formelles (phonologie prosodique), de la matérialité (phonétique prosodique) et de la fonctionnalité des éléments non verbaux de l’expression orale, non coextensifs aux phonèmes, tels que l’accent, les tons, l’intonation, la quantité, le tempo et les pauses, que l’on qualifie collectivement de prosodèmes. La matérialité physique des prosodèmes se manifeste par les variations de la fréquence fondamentale (F0), de la durée et de l’intensité (paramètres prosodiques acoustiques), ces variations étant perçues par l’auditeur comme des changements respectifs de hauteur, de longueur et de volume sonore (paramètres prosodiques auditifs). Les informations prosodiques ont la particularité d’être polysémiques et de véhiculer à la fois des informations d’ordre linguistique, paralinguistique et extralinguistique, qui se révèlent déterminantes pour l’interprétation des énoncés du discours et de la conversation. 13 A.J.

Greimas et J. Courtès (1979). « Sémiotique : Dictionnaire Raisonné de la Théorie du Langage ». Hachette Université.

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Chapitre 2

Situation de la prosodie dans le champ des sciences du langageet dans l’étude de la communication orale

1. Remarques historico-épistémologiques Avant de définir la place qu’occupe actuellement la prosodie dans les champs d’études du langage et de la communication, il nous a paru utile de clarifier des notions qui se rapportent à ces deux termes et qui ont suscité de nombreux débats de fond. Bien que nous ne souhaitions pas nous engager trop en avant dans ces discussions, les perspectives ouvertes par ce chapitre demandent que nous précisions les positions théoriques auxquelles nous nous rangeons. Nous espérons que ces informations seront éclairantes pour la compréhension de la conception de la prosodie que nous défendons. Les sciences du langage couvrent un vaste champ d’étude fractionné en plusieurs disciplines, qui sont représentées par la phonologie, la phonétique, la morphologie, la syntaxe, la sémantique et la pragmatique. La tradition admet implicitement ou de façon explicite, que la phonologie, la morphologie, la syntaxe et la sémantique sont les composants de la linguistique traditionnelle. Celle-ci est définie, le plus souvent, comme l’étude scientifique du langage humain, appréhendé à travers celle de la diversité des langues naturelles (ainsi dénommées parce qu’elles n’ont pas été inventées par l’homme, contrairement aux langues artificielles, comme l’espéranto ou le langage informatique). A priori, la conception traditionnelle semble exclure du champ de la linguistique « proprement dite « la phonétique et la pragmatique qui, de ce fait, ne participeraient pas de l’étude scientifique du langage humain tout en faisant partie des sciences du langage ! Afin de résoudre momentanément ce dilemme 23

Chapitre 2 – Situation de la prosodie dans le champ des sciences du langage

apparemment verbal (mais qui n’est pas sans retombées épistémologiques) et d’amorcer la discussion, nous proposons de substituer à l’expression de sciences du langage celle de sciences du langage et de ses usages. Quelles significations attribuer alors à langage et à usages ? Dans son sens le plus large, le concept de langage se réfère à tout système de signes permettant de communiquer quelque chose. Il est alors possible de parler du langage des abeilles, du langage des fleurs, etc. Pris dans le sens restreint que lui octroient certains linguistes, il désigne la faculté proprement humaine de construire, à partir de principes généraux, une langue et d’en disposer pour traiter, transmettre et échanger des informations. Émanation conjoncturelle du langage, la langue se présente alors dans son ensemble comme le système des routines productives que partagent les membres d’une même communauté linguistique, pour communiquer oralement ou par écrit. Parmi les exemples de la productivité exceptionnelle de ce système de routines, que l’on dit constitutif du savoir linguistique, celui qui s’avère sans doute le plus impressionnant concerne la capacité d’écrire ou de prononcer un nombre presque illimité de phrases ou d’énoncés, à partir d’un peu plus de vingt caractères pour l’écrit ou d’une trentaine de sons distinctifs pour l’oral. De surcroît, il est remarquable de constater que cette capacité surprenante procède d’une aptitude singulière à gérer mentalement des représentations symboliques pour exprimer une pensée. De ce point de vue, le langage humain est unique, car il représente l’incarnation d’un bienfait, dont apparemment seule l’espèce symbolique1 a été génétiquement dotée. À cet égard, il n’est pas approprié de parler de la « langue des abeilles », alors qu’il est tout à fait légitime d’utiliser l’expression « langue des signes » pour désigner le mode de communication particulier qu’utilisent les sourds-muets. D’ailleurs, il est probable, comme le suggèrent des études récentes, que la langue orale et la langue des signes sont supervisées par un système cognitif commun. Les linguistes qui adhèrent aux idées influentes introduites par Chomsky, dans l’élaboration du modèle de la grammaire générative, se représentent la faculté de langage comme un organe mental encapsulé dans l’esprit-cerveau des humains. Selon l’optique de ce cadre théorique, la grammaire dite universelle constitue un état initial de la faculté de langage et la grammaire d’une langue particulière, un état de cette faculté consécutif à l’acquisition de cette langue. Le savoir linguistique des individus qui ont pris possession de cette langue constitue une réalité psychologique. De ce fait, la linguistique est considérée comme une branche de la psychologie cognitive, laquelle appartient aux sciences de la cognition, dont l’objectif est l’étude de l’intelligence humaine sous ces divers aspects (soit : la faculté de langage, le raisonnement, la perception, la mémoire, etc.). 1 Terrence

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Deacon : « The Symbolic Species », Penguin Books, 1997

Remarques historico-épistémologiques

Ainsi que nous venons de le préciser, le savoir linguistique des individus qui possèdent une même langue se rapporte, pour la mouvance générativiste, à une grammaire, de sorte que connaître une langue, c’est connaître une grammaire. Cette faculté cognitive supérieure qu’est la faculté grammaticale s’appelle, pour Chomsky et ses disciples, la « compétence linguistique ». Dans l’approche standard de la théorie générative, la grammaire est constituée de trois modules qui sont représentés par la sémantique, la syntaxe et la phonologie. En réalité la place prépondérante, au sein de la grammaire, est occupée, depuis l’origine, par la syntaxe (ce qui a conduit notamment à l’élaboration de théories robustes et très utiles pour le traitement automatique des langues). Dans le programme de la grammaire générative, la sémantique (qui traite du sens des mots et des expressions formées par ces derniers), se limite à des aspects de la signification dont l’interprétation dérive d’une extension de la logique formelle (que Kant a défini comme la science des lois nécessaires et un universelles de la pensée en général). Quant au module phonologique, qui sert d’entrée à l’information délivrée en amont par le module syntaxique, force est de constater qu’il n’intègre pas la prosodie. Il se borne, par conséquent, à prendre en considération ce qui relevait de la traditionnelle phonématique, bien que la conception de la phonologie générative se démarque de cette approche. Enfin, il est notoire que la phonétique et la pragmatique ne font pas partie de la grammaire. Cette exclusion est concevable, si l’on considère que, dans le programme générativiste, la dimension cognitive ne fait référence qu’à une infrastructure du langage qui serait détentrice d’une compétence productive décontextualisée. Mais à quoi sert le langage ? Comme l’a souligné le linguiste Chomsky, les fonctions du langage sont nombreuses et il est difficile de décréter a priori quelles sont celles qui doivent être considérées comme centrales ou essentielles. Nul doute cependant que le langage est l’instrument de la pensée. La pensée n’existe pas hors du langage qui lui est consubstantiel. Mais il faut bien admettre que le langage est aussi un outil de communication. Dans tous les cas, il sert essentiellement à traiter et à échanger du sens. À travers les diverses formes de communication interindividuelles que permet l’oralité, cette fonctionnalité s’exerce par le truchement de la parole, qui est à la fois l’expression d’une langue particulière et celle des locuteurs qui la pratiquent (et qui exhibent, ce faisant, des performances individuelles). La parole se réfère ainsi à l’usage personnel qu’un sujet nanti de la faculté de langage fait de sa langue (ou d’une ou plusieurs autres langues s’il est polyglotte). Plus encore que le langage (pris dans son sens générique), la parole est le propre de l’être humain. Ne dit-on pas d’un animal particulièrement intelligent qu’il ne lui manque que la parole ? Comme cela a été mainte fois affirmé : « L’homme est un animal qui a besoin d’être bavard. » Les faits de parole ont deux faces : (i) une face sonore, qui est l’objet des études de la phonétique (au niveau concret) et de la phonologie (sur un plan 25

Chapitre 2 – Situation de la prosodie dans le champ des sciences du langage

plus abstrait) et (ii) une face signifiante, qui se rapporte à l’ensemble des significations véhiculées par le signal acoustique transmis par la parole (et que l’on qualifierait plutôt de «  face signifiée  »  dans la terminologie saussurienne). L’interprétation complète de ces significations, qui est fortement dépendante des sujets qui les échangent et du contexte linguistique et situationnel, relève en définitive de la pragmatique. En outre, il ne faut pas perdre de vue que l’usage de la parole s’accompagne, dans la plupart des situations de communication, d’une mimogestualité qui, selon l’opinion de certains chercheurs, fait partie intégrante de la mise en fonctionnement du langage. En effet, les données verbales de la parole ne sont pas toujours suffisantes pour interpréter les messages qu’elle veut transmettre et il arrive fréquemment que les gestes et la parole fournissent des informations complémentaires ou différentes, voire conflictuelles. La communication interindividuelle au moyen de la parole met en jeu deux types de compétences : une compétence grammaticale, qui gère la bonne formation des énoncés et une compétence pragmatique, qui supervise les usages appropriés de leurs utilisations. Un énoncé « bien formé » doit être construit conformément aux principes phonologiques et syntaxiques de la langue utilisée. Son usage approprié signifie qu’il doit également être pragmatiquement pertinent, c’est-à-dire adapté au contexte dans lequel s’imbriquent les actes de communication. Il est manifeste que les deux types de compétences auxquelles nous venons de faire allusion, ont été le plus souvent appréhendées séparément, et que la seconde a été longtemps écartée du champ de la linguistique par certaines mouvances théoriques, qui se réclament du structuralisme (notamment du structuralisme américain, tel qu’il est représenté par le linguiste Bloomfield, par exemple) et, plus généralement, des linguistiques dites formelles. L’évolution des idées et la quête d’accès à tous les aspects de la signification (et pas seulement à ceux dont s’occupe la sémantique classique) ont imposé progressivement la vision d’une linguistique à deux visages représentés, respectivement, par la linguistique de la langue (ou la linguistique formelle) et la linguistique des usages (ou la linguistique fonctionnelle). L’emploi désormais commun du terme linguistique dénote en soi un rapprochement qui s’avère encore plus effectif avec l’effloraison d’expressions et de termes comme ceux de linguistique pragmatique, de pragmatique linguistique, ou de pragmalinguistique. Des formules telles que « nouvelle linguistique « et « linguistiques de la communication «  sont également mises en avant pour désigner une mouvance qui rassemble plusieurs courants. Parmi ces derniers, il est d’usage de citer, notamment, le courant énonciatif, le courant pragmatique, le courant sociolinguistique et le courant de l’analyse conversationnelle, qui ont en commun d’introduire de nouvelles dimensions dans le champ, désormais ouvert, des études linguistiques. Ces dimensions se rapportent au sujet parlant, au 26

Remarques historico-épistémologiques

contexte, ainsi qu’à des aspects socioculturels et interactionnels (en bref, à des dimensions que la linguistique formelle a écartées en prétextant, le plus souvent, leur caractère extralinguistique). À la lumière de cette évolution, il apparaît que le concept de langage acquiert également une extension plus large que celle que lui réserve la grammaire générative. En effet, les apports parallèles de la linguistique formelle et de la linguistique fonctionnelle ont montré que le langage pouvait être appréhendé dans deux dimensions : la dimension cognitive et la dimension communicativo-fonctionnelle, cette dernière étant représentative du comportement extériorisé par ses usagers. La dimension cognitive se réfère, pour sa part, à l’infrastructure mentale du langage, que renferme la « boîte noire » du cerveau humain. L’approche cognitivo-pragmatique, qui participe de l’étude de ce que l’on pourrait bien appeler la cognition située, soutient l’idée que les deux dimensions en question ne sont pas mutuellement indépendantes, car elles se réfèrent à des aspects à la fois différents et inhérents du langage. De ce point de vue, la face observable du langage mis en fonctionnement par l’usage de la parole, constitue une fenêtre ouverte sur la cognition, en général et sur la cognitique du langage, en particulier. Il apparaît donc que la compréhension d’un système fonctionnel aussi complexe que celui mis en jeu par l’usage du langage dans la communication, a des retombées positives à la fois pour la compréhension de sa dimension fonctionnelle et pour celle de sa dimension infrastructurelle. En définitive, la coopération de la linguistique formelle et de la linguistique fonctionnelle ne peut qu’être profitable à l’étude de la prosodie, qui a longtemps été tenue à l’écart de la première et dont la richesse fonctionnelle reste encore largement sous-estimée (cf. cependant le chapitre 8 sur la pluralité fonctionnelle de la prosodie). Dans le cadre d’analyse que nous adoptons, nous ne remettons pas en question l’idée de la grammaire, telle que la conçoivent les générativistes et qui s’apparente, comme on l’a vu, à un module formé de la sémantique, de la syntaxe et de la phonologie. En revanche, nous estimons que la prosodie fait partie intégrante du module phonologique, au sein duquel elle représente un sous-module particulier et qu’elle constitue, à ce titre, une composante interne de la grammaire. Par ailleurs, nous acceptons le point de vue que la phonétique et la pragmatique sont des composantes extra-grammaticales, en affirmant, toutefois, qu’elles ne sont pas, pour autant, des composantes extralinguistiques, dans la mesure où nous admettons le droit de cité d’une linguistique de la parole. Afin de préciser notre pensée, nous reprendrons l’idée 2 que les composantes que représentent la phonétique et la pragmatique peuvent être regardées comme des interfaces entre la grammaire de la langue et le monde externe à celle-ci. Conformément à cette idée, la phonétique se positionne comme une 2 Daniel

Hirst et Albert Di Cristo : « Intonation Systems », op.cit.

27

Chapitre 2 – Situation de la prosodie dans le champ des sciences du langage

interface entre la substance des faits sonores et la phonologie, de même que la pragmatique se positionne comme une interface entre la substance des faits de sens et la sémantique. Il d écoule de ces relations en miroir que la pragmatique est à la sémantique ce que la phonétique est à la phonologie. C’est par l’intermédiaire de ces relations (figure 3) que se tissent les liens entre la linguistique de la langue et la linguistique de la parole (ou des usages de la langue). Univers de la substance (de la matérialité des faits sonores et de « l’environnement » du langage)

Sémantique

Phonétique

Substance sonore

Grammaire Syntaxe

Pragmatique

Linguistique de la langue

Phonologie Phonématique Prosodie

Situation - Contexte - Usagers

Linguistique de la parole (des usages de la langue)

Figure 3.  Schéma illustrant les relations entre la linguistique de la langue (la grammaire), la linguistique de la parole (phonétique, pragmatique) et l’univers des faits de substance.

2. Situation de la prosodie dans le champ des sciences du langage Afin de situer la place que la prosodie est en droit d’occuper dans les sciences du langage, nous proposons de nous référer à une conception de la langue à la fois ancienne et plutôt unificatrice (si l’on se reporte à la discussion de la section précédente). Selon cette conception, qui s’inspire du modèle développé par le linguiste Louis Hjelmslev (fondateur du Cercle de Linguistique de Copenhague), une langue s’articule suivant deux plans : le plan de l’expression et le plan du contenu. Par expression, il faut entendre l’ensemble des ressources formelles dont dispose la langue et par contenu, tout ce qui concerne les significations qu’elle peut transmettre. L’étude du plan de l’expression et celle du plan du plan contenu sont traditionnellement réparties en plusieurs 28

Index des termes

A abaissement final (final lowering) 116, 156, 240 accent 2 de phrase 197 d’insistance 6 dynamique 9 nucléaire 175, 196 primaire 6 tonique 11 accentème 8 accentogènes 6 accentuation 5, 12, 84 finale 130 fixe 7 initiale 63, 130 lexicale 5, 8 libre 7 nucléaire 192 secondaire 6 accès au lexique 63, 172 acoustique 31 acquisition du langage 172 acte illocutoire 202, 226, 270 locutoire 226 perlocutoire 226 de discours 202, 225, 263 de langage 226 de parole 173 activités cognitives 52 affect 173–174, 202, 224, 235 affectives 263

allongement final 14 ambiguïtés 66 analyse conversationnelle 26 spectrale 106 approche autosegmentale 143 plurilinéaire 143 arbre métrique 9, 126 arrière-plan 204, 265 aspects expérientiels 271 assertion 197, 230, 265 atone 12 attaque 13, 89, 123, 127, 149, 210 attitude 16, 170, 225–226 affective 226 dialogique 48, 226, 263, 269 propositionnelle 226, 262 expressives 270 impressives 270 attitudinal meaning 227 autosegments 4-5, 19, 143, 152 B backchannel 224, 268 background 193, 204 balance spectrale 11, 98 bande critique 97 battements 120, 124 bootsrapping (amorçage) 172 bottom-up 50 boundary 154 tone 10, 110 281

Index des termes

C cadence 150, 161 caractéristiques individuelles 242 spectrales 84 catégoriel 2, 268 cerveau IX chevauchements 240 clauses de commentaire 213 coda 13, 89, 123 codage phonologique 118 code(s) biologiques 251, 272 linguistique 38, 52, 272 paralinguistique 38 phonologiques 34 co-énonciation 240 cognition 2, 15, 27 située 32, 170 cohérence 205 co-intrinsèques 99 collision accentuelle 125 commitment 226, 269 common ground 193–194 communication VIII ostensive 56 compétence grammaticale 26 linguistique 25 pragmatique 26 compilateur prosodique 2, 61, 173 compréhension 2, 52 conclusif 197 concordance mélodique 173, 241 conditions de vérité 251 d’usage 251 configuration 116 connecteurs 207, 218 connu 200 constituance prosodique 119, 125, 133 282

constituants 18 prosodiques 65 constructions coordonnantes ou subordonnantes 219 contenu 28, 168 contexte 26, 32, 203–204, 246, 263 continuatif 197, 219 continuum 18 contour 116, 137, 143 intonatif 197 nucléaire 137, 150, 258 contraintes articulatoires 34 communicatives 49 linguistiques 15 métriques 61 respiratoires 31 contraste 180, 194 conversation 202, 204, 225 coordination 205, 218 D débit 16, 20 décibels 90 déclinaison 86, 94, 155 décodage 2, 51–52, 253 acoustico-phonétique 61 linguistique 251 non linguistique 251 demandes de confirmation 230–231 démarcation 65, 70, 172, 188 démarche ascendante 50 descendante 51 dialogue 204, 225 discours 7, 32, 170, 201 monologal 209 discrètes 30 dislocation 186 distinctions graduelles 35 domaine 18, 65 linguistique 77

Index des termes



prosodique 115, 119, 124–125, 131 donné 200 downdrift 155 downstep 116, 155–156 durée 2, 17, 37, 84 objective 107 dynamique tonale 236 E échanges interpersonnels 202 échelle logarithmique 90 edge 154 effet co-intrinsèque 99 de masque 97 éléments suprasegmentaux 18 émotions 16, 174, 202, 235, 271 emphase 20, 194, 236 emphatique 6 encodage grammatical 48 phonologique 48–49, 58, 61 syntaxique 48 énoncé 7, 32 phonologique 137 énonciation 205, 225 étape de décodage 56 inférentielle 56, 253 étude du langage VIII eurythmie 124 expressif 161 expression 28, 168 détachée 187 parenthétique 262 parenthétique incises 213 extralinguistique 37, 78, 174, 271, 274 extraposition 186

F facteurs aérodynamiques 84 intrinsèques 99 final lowering 240 focalisation 7, 48, 64, 194 contrastive 196 focus 193, 195 fonction accentuelle 172, 175 attitudinale 227 communicative 214 conative 224, 227 cumulative 6 de contextualisation 245 de démarcation 179 de désambiguïsation 179 de la prosodie 39 de liage 179 démarcative 6, 14 distinctive 6 écologique 245 énonciative 177, 224 expressive 224, 227 identificatrice 16, 270 illocutoire 227 interactionnelles 239 métalinguistique 224 métrique 175 phatique 224 poétique 224 référentielle 224 structurale 175, 218 fonctionnalité IX, 1 fond 200 fond (ground) 193, 265 fond-focus 193 fondamental 36 force aérodynamiques 86 illocutoire 214, 226, 229 métrique 9 283

Index des termes

formants 88, 106 forme sonore 33, 49 fréquence fondamentale 2, 17, 36, 84 intrinsèque 98 frontière 15, 65, 157, 197, 260 prosodiques majeures 67 G gamme tonale 242 gestes 26 given 191 givenness 192 given/new 264 gradation 35 graduelles 268 graduels 2 grammaire 27 générative 17, 25 intonative 4 prosodique 157 universelle 17 grille métrique 9, 126, 131 ground 193, 265 groupe accentuel 12, 115 clitique 135 de souffles 273 intonatif 59, 256 prosodique 13 rythmique 12, 123 groupements 12, 120 H hauteur 3, 17, 61 hésitation 15, 213 hiérarchie accentuelle 6 stricte 139 284

I iconique 268 illocutoires 197 implicature 264 conversationnelle 263–264 incise 213, 216 index 242 indice 270 prosodiques 2 inférence 56, 69, 174, 264 information nouvelle 64, 201 conceptuelle 254 procédurale 254 intensité 2, 17, 84 objective 89 physique 107 spécifique 98 subjective 89 intention 38, 202, 253 communicative 48, 170 informative 56 interactions verbales 174 interprétation 51 inter-synchronie 241 intonation 2, 84 intonèmes 4 INTSINT 159 isochronie 124 accentuelle 13, 125 syllabique 13, 125 isomorphisme 133 isosonie 96 L larynx 31 lexique 49 mental 54 liage 65, 70, 172 mélodique 62 linguistique

Index des termes

fonctionnelle 26–27 formelle 26–27 longueur 17, 107 M macroplanification 48 macrostructure 203 macrosyntaxe 203 matérialité IX, 1, 6, 83, 107 mélodie 3, 11, 111, 175 mémoire 48 discursive 205 encyclopédique 69 message 40, 48, 183 préverbal 59 mesures 12 mètre 12 métrique 1, 12, 119 autosegmentale 154 microplanification 48 microvariations 91, 93 mimétisme prosodique 241 mimogestualité VIII, 26, 235 mimogestuel VII, 225 modalité d’énoncé 225 modèle autosegmental 152, 154 prosodiques 119 superpositionnels 140 modulaire 206 more 2, 14, 134 morphème 31, 175 morphologie 31 mot phonologique 135 prosodique 60, 131, 135, 183 N neurolinguistique VIII, 76 neutralisation 89 new 191 niveau

cognitif 39, 108 d’accentuation 127 d’analyse 116 niveaux de hauteur 143, 151 non linéaire 19 non terminale (ou non conclusive) 115 non verbal 36 normalisation 93 nouveau 200, 264 noyau (nucleus) 13, 89, 123, 137, 149 O obligatory contour principle 116, 153 oppositions catégorielles 35 ordre 233 organisation du discours 214 hiérarchique 12 métrique 49, 61 temporelle 14 P paragraphe prosodique 139, 209 paralangage 37, 252 paralinguistic features 252 paralinguistique 16, 30, 78, 252, 274 paramètre 2, 17, 31 physique 37 prosodique 17 paraton 115, 138, 209 parenthèses 213–214 parole 25 impromptue 208 parsing 64 particules illocutoires 216 patron accentuel 9 accentuels 9 distinctif 4 intonatif 4, 9, 157, 163, 256 285

Index des termes

mélodique 4 rythmiques 122 pause 2, 37, 59 d’hésitation 59 remplie 14–15 silencieuse 14 perception 2 période 138, 209 intonative 115 perspective fonctionnelle de la phrase 184 pertinence 57 phénomènes microprosodiques 86 phonématique 25 phonème 14 de hauteur 257 phonétique 23, 27 interprétative 34 paramétrique 33 phonologie 23, 25 de laboratoire 33 des domaines 119, 132 intonative 119, 132 métrique 121, 123, 132 non linéaire 12, 122 plurilinéaire 122 prosodique 5, 30, 108, 132 phonoprosodie 35 phonostyles 172 phonostylistique 15, 37 phrase 7 prosodique 12, 119, 183 pied 17, 124, 130 pitch 9 accent 9, 110, 154 concord 241 morpheme 152 phoneme 152 pivots 142 plan de l’expression 28 planification 15, 59–60, 173, 213 phonétique 61 prosodique 58 286

plurilinéaire 12, 19 pluriparamétrique 236 points-cibles 116 points-clés 149 pôles de bruit 106 polyphonie 235 posturo-mimogestuel VII, 36 potentiels évoqués 72 pragmalinguistique 26 pragmatique 6, 27, 250–251 cognitive 170 extralinguistique 264 linguistique 263 paralinguistique 264 précontour 150 prémisse 265 présupposition 193 prétonique 150 principe de hiérarchie stricte 133 prise de souffle 15 processus inférentiels 35 production 2 proéminence 2, 5, 94, 107 métriques 10 profil suprasegmental 92 propagation tonale 155 proposition 32, 51, 251 prosodie implicite 173 silencieuse 58, 173 prosodologie 2 psycholinguistique VIII Q qualité de la voix 38, 236 quantité 2, 13 question 197, 230 alternative 230, 232 biaisée 231 dite 230 partielle 230 polaire 230

Index des termes

R reconnaissance 51 récursivité 139 réduction 89 registre 156, 216, 268 mélodique 38, 137 régulateurs d’écoute 241 rehaussement 161 relations de discours 218–219 rhétoriques 205, 218 remise à niveau 211 représentation analytique 83, 105 cognitive 108 conjuguée 123 hiérarchique 115 intégrée 57, 69, 253, 274 mentale 108 phonologique 9, 114, 122 sémantique 56 requête 233 resetting 116, 137, 156, 211 rhétorique 15 du discours 219 rime 13, 123 rythme 2, 12, 119 S saillance 70 schème tonal 115 segmentation 51–52 segments 19 phonémiques 18–19 prosodiques 19 tonals 5, 116, 143, 152 sémantique 6, 25, 250 discursive 250 dynamique 204–205, 250 formelle 32 sémioprosodie 35

sémiosis 35 sémiotique 36, 274 sens IX, 25, 249 communicatif 252 extralinguistique 270 informatif 252 pragmatique 249 sémantique 249 sentiments 202, 235, 271 signal 269 acoustique 26, 48 de parole 49 signaux de backchannel 241 d’écoute 268 signe 254 artificiel 255, 274 naturel 252, 255, 270, 274 signification 26, 28, 249-270 sociolinguistique VIII sonie 17, 97, 107 spectre acoustique 89 speech acts 225 squelette métrique 10 squiggly lines 151 stress 9 stress-timed 125 structure de surface 49 hiérarchique 12, 115 informationnelle 48, 263 métrique 12, 175 rythmiques 175 styles de parole 242 stylisation 95 subjectivité 202 subordination 205, 218 substance 33, 83 auditive 33 physique 33 suprasegmentals 18 syllabe 13 287

Index des termes

syllable-timed 125 symptôme 242 syntagme 32 accentuel 135, 137, 183, 209 intermédiaire 60, 137, 154, 179, 209 intonatif 137, 154, 157, 256 phonologique 60, 136 prosodique 60, 132 syntaxe 6, 25 système accentuel 1 de compréhension IX de perception 52 de production IX prosodique 5, 30 T tempo 2, 13, 16, 37, 236, 240 terminale (ou conclusive) 115 tête 17 métrique 123, 135 thème/rhème 185 théorie autosegmentale 116 de la pertinence 250, 253 des signes 32 métrique 12 métrique-autosegmentale 10 motrice 50 tiers 19 tilt spectral 98 timbre 88 ToBI 158 tons 2 ton de frontière 137 tone 4 group 59 tonèmes 3

288

ton-étoile (starred tone) 155 ton nucléaire 115 tonique 11, 149 top-down 50 topicalisation 187 topique 185 commentaire 185 focus 193 tours de parole 202, 240 traitement 2 traits paralinguistiques 252 tune 4, 10, 157 turning points 142 U unité intonative 59, 66, 115, 132, 137, 256 intonative conclusive 66 discrètes 18, 54 phoniques 30 tonale 115 universalité 272 upstep 161 upstepped 161 V valeur illocutoire 229 variabilité 248 variations microprosodiques 62, 107 verbal VII vide accentuel 125 vitesse d’élocution 16 vocal VII, 36 vocalisations 173 vocatif 216, 232 voisement 87 voix 36 volume sonore 107

Index des noms propres

A Arndt 236 Asher 205, 211, 261 Auchlin 170, 203 Auran 165 Austin 226 Autesserre 243 B Bakhtine 234 Bänziger 236 Bates 45 Baum 76 Beckman 10, 103 Benveniste 225 Bérard 221, 237 Berrendonner 205 Bertrand 165 Beyssade 227, 251 Blanche-Benveniste 177, 204 Bock 47 Bolinger 152, 154, 272 C Carlson 67 Carton 243 Chanet 165 Chomsky 24, 122 Clark 169, 202 Clifton 67 Cohen 144 Collier 144 Coquillon 243 Courtès 21

Cruttenden 148 Crystal 20, 172 D Daneš 184 Daniel Hirst 8 Darwin 174 Deacon 24 de Fournel 227 Dehé 214 Delais-Roussarie 136, 227 Delattre 146 Di Cristo 8, 27, 100–101, 140, 149, 151, 165 Drake 120 Dubois 20 Ducrot 20, 234–235, 249 Duez 244 E Eco 255 Elman 53 Espesser 100, 111 F Filliettaz 170 Firbas 184 Fodor 45 Fónagy 221, 237 Fontaney 227 Fowler 240 Fraisse 120 Frazier 67 Fujisaki 140 289

Index des noms propres

G

L

Garde 7 Garding 141 Garrod 203 Ghio 243 Goldsmith 153, 176 Grabe 163 Greimas 21 Grice 264 Grobet 170 Grønnum-Thorsen 141 Grosjean 241 Grosz 206 Gumperz 246 Gussenhoven 252, 272

Lacheret-Dujour 209 Ladd 10, 103, 153 Lakoff 169 Lambrecht 185 Laver 242 Léon 37, 236 Levelt 2, 43 Liberman 50 Lindblom 50

H Halle 122, 124 Halliday 184 Hart 144 Hauser 240 Hayes 124, 271 Hazaël-Massieux 209 Hiroshiye 140 Hirschberg 252, 257 Hirst 27, 101, 140, 151 Hjelmslev 28 Hockett 123 Horgues 243 Hutchins 169 J Jackendoff 188, 201 Jacobs 185 Jakobson 224 Janney 236 Jefferson 240 Jeffrey 77 K Kamp 204 Kerbrat-Orecchioni 225 290

M Mac Whinney 45 Mallmberg 104 Mann 205 Marandin 227 Mariapaola d’Imperio 103 Marslen-Wilson 54 Martin 101, 147 Mathesius 184 Mattingly 50 Mc Clelland 53 Mc Neil IX, 39 Mertens 96, 159 Miller 177 Moeschler 169, 269 Mondada 239 Mounin 20 N Nagashima 140 Nespor 132 Newmeyer 45, 167 Nishinuma 100–101 Nooteboom 20 Nuyts 45 P Pachana 77 Pell 76 Pickering 203 Pierrehumbert 9, 103–104, 152

Index des noms propres

Pike 149, 151, 176 Pinto 243 Pollock 168 Portes 165 Post 136, 158 Prévot 211 Prieto 270 Prieur 68 Prince 191 Pynte 68 R Rastier 169 Reboul 169, 269 Redeker 219 Reyle 204 Rialland 227 Rossari 207 Rossi 59, 101, 189 Roulet 206 S Sacks 240 Sanders Peirce 32, 255 Schaeffer 20 Schegloff 240 Selkirk 65, 132, 136 Shattuck-Hufnagel 60 Sidner 206 Simon 170 Sperber 43, 250

T Tanenhaus 56 Teston 243 Thompson 205 Todorov 249 Troubetzkoy 6 Truckenbrodt 161 Trudgill 242 Trueswell 56 U Uldall 227 V Vaissière 145 Vallduvì 185 Van Dijk 206 Van Valin 168 Vergnaud 124 Viallet 243 Victorri 209 Vieu 205, 211 Vogel 132 W Weinert 177 Wharton 250 Wichmann 214 Wilson 43, 250 Y Yule 209

291

Table des matières

Sommaire.............................................................................................................. V Avant-propos .................................................................................................. VII Introduction.......................................................................................................IX Chapitre 1. Éléments de définition........................................................... 1 1. Ébauches de définition de la prosodie ....................................................... 1 2. Définitions des éléments prosodique.......................................................... 3 2.1. Ton et intonation................................................................................... 3 2.2. Accentuation, accent, rythme et métrique......................................... 5 2.3. La dimension temporelle de la prosodie...........................................13 2.3.1. La durée des unités linguistiques............................................13 2.3.2. La pause......................................................................................14 2.3.3. Le tempo....................................................................................16 3. Les paramètres prosodiques.......................................................................17 4. Pourquoi les éléments prosodiques sont-ils qualifiés de suprasegmentaux ?.......................................................................................18 5. Quelques définitions de la prosodie..........................................................19 5.1. Que nous apprennent ces définitions ? ............................................21 5.2. Essai de définition synthétique..........................................................21

Chapitre 2. Situation de la prosodie dans le champ des sciences du langageet dans l’étude de la communication orale.................23 1. Remarques historico-épistémologiques....................................................23 2. Situation de la prosodie dans le champ des sciences du langage..........28 3. Situation de la prosodie dans l’étude de la communication orale interindividuelle...........................................35 293

Table des matières

Chapitre 3. La prosodie sur les deux versants de la communication orale interindividuelle ...................................43 1. Introduction.................................................................................................43 2. Nature des traitements qui sont mis en œuvre dans la représentation du langageet son actualisation par la parole ............45 3. Le versant de la production........................................................................47 4. Le versant de la compréhension................................................................50 5. Le compilateur prosodique à l’interface des systèmes de production et de compréhension...................................................................................57 5.1. Le compilateur prosodique et le système de production................58 5.2. Le compilateur prosodique et le système de compréhension........61

Chapitre 4. La prosodie et le cerveau.....................................................71 1. Quelques repères sur la neuroanatomie fonctionnelle du cerveau et le langage...................................................................................................71 2. La prosodie et la neuroanatomie fonctionnelle du cerveau...................75

Chapitre 5. La matérialité de la prosodie.............................................83 1. Matérialité physiologique de la prosodie et contraintes de production...............................................................................................84 1.1. Bases de la matérialité physiologique................................................84 1.2. Incidences des contraintes de production........................................86 2. Matérialité acoustique et auditive de la prosodie....................................87 2.1. Notions élémentaires relatives à l’acoustique de la parole et à la matérialité physique de la prosodie........................................87 2.2. Ruptures des correspondances entre la matérialité acoustique et la matérialité auditive de la prosodie............................................91

Chapitre 6. Les niveaux d’analyse et de représentation de la prosodie...................................................................................................103 1. Remarques préalables................................................................................103 2. Propositions pour une définition explicite des niveaux d’analyse et de représentation de la prosodie..........................................................105 3. Deux approches complémentaires des niveaux d’analyse et de représentation de l’intonation : ToBI et INTSINT................................109

Chapitre 7. Les théories, les modèles de la prosodie et leurs appareils formels................................................................................119 1. Approches de la métrique et du rythme.................................................119 2. La phonologie métrique : situation, définitions, bases fondatrices et principes théoriques.Outils de formalisation et de représentation....122 294

Table des matières

2.1. Situation, définitions et bases fondatrices......................................122 2.2. Principes théoriques .........................................................................124 2.3. Outils de formalisation .....................................................................126 3. La phonologie des domaines ...................................................................132 3.1. Généralités .........................................................................................132 3.2. De la quiddité des domaines ............................................................134 4. Approches (modèles) de l’intonation .....................................................139 4.1. Remarques préalables .......................................................................139 4.2. Les modèles superpositionnels ........................................................140 4.3. Les modèles non superpositionnels : unilinéaires et plurilinéaires (ou autosegmentaux)............................................143 4.3.1. Les approches configurationnelles.......................................144 4.3.2. Les approches en termes de niveaux de hauteur................151

Chapitre 8. La fonctionnalité plurielle de la prosodie................167 1. Remarques préliminaires..........................................................................167 2. Les fonctions de la prosodie ....................................................................171 2.1. Les fonctions générales de la prosodie............................................172 2.2. Les fonctions spécifiques de la prosodie.........................................174 2.2.1. Les fonctions auxiliaires qui se rattachent à la fonction accentuelle, ou de saillance....................................................175 2.2.2. La fonction tonale distinctive du niveau lexical.................175 2.2.3. La fonction structurale de la prosodie.................................176 Les fonctions structurales de la prosodie au niveau de la phrase/énoncé................................................. 178 Les fonctions structurales de la prosodie au niveau du message............................................................... 183 Les fonctions structurales de la prosodie au niveau du discours............................................................... 201 Remarques préliminaires sur la quiddité du discours........ 201 Les fonctions structurales de la prosodie au niveau du discours.................................................... 207

2.2.4. Les fonctions expressives et impressives de la prosodie....223 Remarques préliminaires...................................................... 223 Les fonctions énonciatives et illocutoires de la prosodie..... 224 Les fonctions d’expression de l’affect de la prosodie : attitudes et émotions............................................... 235 2.2.5. Les fonctions interactionnelles de la prosodie....................239 2.2.6. Les fonctions indicielles (ou identificatrices) de la prosodie..........................................................................242 295

Table des matières

2.2.7. Vers une proposition de synthèse : les fonctions de contextualisation et la fonction « écologique »  de la prosodie..........................................................................245

Chapitre 9. Les relations de la prosodie avec le sens....................249 1. Remarques préliminaires..........................................................................249 2. Les unités signifiantes de la prosodie......................................................255 3. Les relations de la prosodie au sens.........................................................258 3.1. Relations entre informations prosodiques et interprétation sémantique (lexicale et supralexicale).............................................259 3.2. Relations entre informations prosodiques et interprétations pragmatiques .....................................................................................262 3.3. Conclusions........................................................................................273

Épilogue..............................................................................................................277 Suggestions de lecture.................................................................................279 Index des termes ............................................................................................281 Index des noms propres .............................................................................289

296

VOIX PAROLE LANGAGE

Le premier ouvrage d’introduction à la prosodie rédigé en langue française. Albert Di Cristo offre une synthèse complète des différents aspects de la prosodie du langage : matériels, formels, fonctionnels, sémantiques et pragmatiques. Il s’attache en particulier à clarifier les termes du champ d’étude de la prosodie et précise la position qu’elle occupe aujourd’hui dans l’étude du langage et de la communication. C’est pourquoi il accorde une place importante à l’étude des relations que la prosodie entretient avec les domaines de recherche aussi divers que : • la linguistique ; • la psycholinguistique ; • la neurolinguistique.

Docteur d’État en linguistique et auteur de nombreux ouvrages et articles sur la prosodie, Albert Di Cristo est professeur émérite de l’université d’Aix-Marseille, où il a dirigé l’Institut de Phonétique.

PROSOPAR ISBN 978-2-35327-191-7 www.deboeck.fr
Prosodie de la Parole Di Cristo

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